Excellent concert cependant ; suivi d’un verre avec Philippe Bertrand, qui est souvent maintenant mon partenaire (puisque j’ai par ailleurs peu de copains ici qui y vont encore). Cornershop, groupe anglo-pakistanais nonchalant, ou d’Anglais d’origine pakistanaise ; je croyais qu’ils jouaient du punk rock, mais je m’étais trompé sur toute la ligne ou bien ils ont tourné casaque : c’est un mélange assez indéfinissable de rock, de bidouillages électroniques et de musique indienne — ces derniers moments étant les meilleurs, susceptibles parfois par leur côté répétitif de produire les conditions de la transe (une salle assise était inadéquate pour ça, dommage). Un chanteur aux énormes rouflaquettes qui, les mains dans les poches, alterne entre l’anglais et une langue aux [r] fortement roulés ; de temps à autre il prend une guitare électro-acoustique péniblement sonorisée. Le batteur est en trop ; mieux vaudrait développer à mon sens l’alliance percussions/beatbox dont ils se servent dans des intros aux samples nombreux (toujours bizarre d’ailleurs à mes yeux de néophyte, d’entendre la musique qui sort sans que personne sur scène ne joue quoi que ce soit. Je viens du rock à guitares. Mais mon attirance nouvelle pour les trip hop, techno et musique instrumentale de studio pousse à ce que je m’y fasse).
Les Tindersticks étaient bien entendu magnifiques, et Stuart Staples, le chanteur, saoul comme un cochon avant de monter sur scène ; il était parfois à la limite de tituber, ce qui rendait certains morceaux encore plus chargés de pathos qu’ils ne le sont sur les disques, mais il s’en est tiré tout à fait à son honneur. De toute façon, je suppose que c’est tous les soirs pareils. Parfois sa voix descend tellement dans les graves qu’elle est à la limite de s’éteindre ; c’est alors le violon qui assure les lignes mélodiques, et il se produit une beauté rare. C’est peut-être quand la machine s’emballe, et qu’un déluge de vacarme s’abat sur la scène, que je les préfère, dans des morceaux comme « Jism » ou « My Sister » sur la fin ; mais tous recèlent de ces petits accidents qui en font des pièces majeures, des petites phrases qui valent celle de la sonate de Vinteuil. Mon plus grand plaisir de ma soirée aura peut-être été de rencontrer pendant l’entracte une des plus jolies des étudiantes d’il y a deux ans, la seule avec qui j’avais établi un bon contact (combien j’apprécie qu’elle m’ait tutoyé sans fausse pudeur !). Je la croise de loin en loin, et ne manque pas d’échanger quelques mots avec elle, quelques mots qui nous ont gardé cette fois dix minutes dans le hall de la salle. Je n’en étais que de meilleure humeur pour me laisser envahir par le velours doux et inquiétant des Tindersticks.