Mercredi 28 janvier 1998 (lapin au pain d’épice pour midi)

(Lapin au pain d’épice au goût, proche du tajine de poulet au miel et aux amandes de Maman. C’est le lapin qui fait la différence. De la difficulté de trouver des saveurs radicalement nouvelles dans la cuisine du quotidien.)

Wim Wenders me donne de nouvelles pistes pour analyser Funny games. Ce qu’il dit sur la violence au cinéma (et à l’image en général) est proche des déclarations d’Hanecke, mais beaucoup plus clair. Le grand reproche qu’il adresse à la manière dont est traitée la violence dans la plupart des films actuels, c’est justement qu’elle n’est pas traitée ; elle n’est qu’une sorte de jeu, propice à spectacle où on prend du plaisir. Elle est banalisée, déréalisée. Et c’est vrai que dans n’importe quelle production hollywoodienne on massacre à tire-larigot et sans états d’âme. Les morts ne sont (au mieux — lorsque c’est le héros qui en est l’auteur) que la conséquence des multiples effets pyrotechniques dont on abuse toutes les deux secondes, et toute réelle dimension humaine est enlevée à la mort. Trop en voir de cette façon lui enlève finalement toute existence : on ne sait pas ce que c’est. C’est ce dont a l’air de traiter le dernier Wenders (la question de savoir si le cinéma doit avoir des préoccupations « éthiques » de ce type, s’il ne peut se cantonner à des réflexions plus formelles ou endocentriques[1] reste en revanche ouverte. Mais c’est la position adoptée à la fois par Hanecke et Wenders). En s’attachant surtout aux réactions des victimes, Funny games se situe dans cette optique — un peu de la même manière que Tarantino déclarait avoir fait pisser le sang à Harvey Keitel tout au long de Reservoir Dogs pour montrer que mourir, c’est long et pas propre. Le fait de mettre en scène des meurtriers détachés à l’extrême des crimes qu’ils commettent est peut-être une manière de pointer du doigt l’insensibilité avec laquelle est pris le fait de tuer dans le cinéma (américain) : de la pousser à bout pour que ça saute aux yeux du spectateur. Mais je ne suis, pas sûr que ça puisse dégoûter — j’avoue sans fausse pudeur avoir trouvé cette façon d’aller jusqu’au bout amusante par moments (tellement c’est gros). Le film jouerait ainsi sur deux registres très différents, et presque contradictoires — aller vers un réel « documentaire » et pousser la fiction dans ses limites. Je continue de penser qu’il ne réussit pas à s’articuler comme un tout cohérent.

[1] Notamment en travaillant sur le genre — ce qui a été beaucoup fait ces dernières années avec le polar, par Tarantino le premier (pas forcément d’un point de vue chronologique : j’avoue sans difficulté mon inculture en la matière).

Vu avec Paul vélocypédique Deconstructing Harry, le dernier Woody Allen. Brillante et loufoque variation sur les mélanges entre l’art et la vie, avec montage frénétique[1], arrivée intempestive des personnages de ses romans dans la vie du héros, acteur out of focus, visite de l’Enfer, obsessions sexuelles et tout le bataclan. Une sorte de condensé de son cinéma — en forme de chef d’œuvre foisonnant et hilarant (mais sur le fond assez désespéré : l’écrivain n’a plus dans sa vie que son art, et celui-ci le malmène). Pendant ce temps Joris dînait avec Victoria : d’où incompatibilité des soirées.

[1]Mine de rien un gros apport formel au cinéma, qui, par son fractionnement et ses coupes sauvages, contredit toutes les règles classiques ; et tentative passionnante de faire coller la forme au propos.