Dimanche 15 mars

Mauvais week-end. Je n’ai vraiment pas beaucoup de réserves pour affronter l’adversité, même lorsqu’elle se signale par bien peu… L’essentiel de mon mécontentement — c’est du moins ce qui aura été le déclencheur le plus évident de ma déprime — est dû à un incident arrivé à la fin de la crémaillère de Paul vendredi soir. Marie-Charlotte s’est fait un peu molester (peut-être pas de façon volontaire) par un de ces gros cons, copains plus ou moins lointains de BT ou d’Antoine Doinel, qu’on doit maintenant se farcir aux fêtes organisées par Paul ou Victoria. Ermold, Broerec, elle et moi étions tellement dégoûtés qu’on a filé illico au Saguaro pour se calmer et être enfin chez nous. Je me suis ensuite laissé entraîner au Shaka, bondé comme d’habitude, et je m’y suis fait chier royalement. Déjà, je n’étais pas allé à la soirée très convaincu. Au début, ce n’était pas désagréable, j’ai parlé avec Petit-Fruit-Des-Bois, qui passe maintenant tout son temps avec et chez Paul et se prénomme Delphine en réalité ; avec Mathix ; avec Marie-Charlotte et Sophie (un drôle de mélange, quand on y pense, tous ces gens). Le ventre de Sophie continue de s’arrondir doucement, et elle n’en est que plus jolie. Mais l’ambiance s’est ensuite très vite gâtée à l’arrivée massive de la bande des soûlauds ; parce qu’ils ont commencé à passer la minable variété dance des années 80 dont le goût chez les gens de notre âge signale ceux qui n’aiment pas la musique (ils se replient sur les tubes de leur adolescence, avec déjà la nostalgie de « leur temps ») ; parce que vu comme ils étaient bourrés et sont de toute façon sans gêne, ils ont vite renversé des trucs en préambule — à se conduire comme jamais je n’oserais le faire chez quelqu’un ; parce qu’enfin je n’ai rien à voir avec eux et que leur seule présence en troupeau stupide suffit à briser le charme de tout endroit. Je trouve déjà les soirées trop souvent médiocrement prévisibles, alors il n’y a vraiment pas besoin de ça.

Sophie m’apprend que Laure est enceinte elle aussi jusqu’aux yeux. Elle attend un bébé pour la fin mai. Ça apporte une autre explication au fait qu’on ne se soit plus vus depuis l’été, mais jette aussi un trouble supplémentaire sur nos derniers contacts. J’ai ressenti un certain malaise : je n’ai plus dû être bien haut dans son estime. Oh, et puis après tout, merde — c’est ce que pensent tous les personnages de Cela, que je lis en ce moment — il n’y a pas de mal à avoir envie de coucher avec une femme. Seulement, je ne suis pas du tout prêt à la revoir, et encore pour un moment je crois.

Enfin ce n’est pas ça qui m’a gâché la soirée, même si j’aurais préféré ne pas avoir de ses nouvelles. La soirée, et toute la journée du samedi, où je n’ai eu aucune énergie autre que celle de me coucher en attendant la mort sur mon lit défait. Et puis ensuite j’ai encore fait le mauvais choix. Je m’enferre. Je suis sorti acheter un cadeau pour Maman à la FNAC, malgré ma détestation (chez eux tout client est un voleur potentiel), et, pour me mettre un peu de baume au cœur, le dernier Sonic Youth expérimental, avant de filer chez Paul à nouveau : j’avais absolument besoin de voir des gens, mais ça m’a entraîné jusqu’au coucher, et j’ai raté une fête chez Fabien Delplat, l’ancien guitariste de Bad Wound, où Joris est allé, beaucoup plus intéressante. C’est un peu dégueulasse pour Père, qui m’a tout de même invité au restaurant, et que j’étais sincèrement heureux de voir un peu plus longuement que d’habitude[1], mais (à part ça) entre une conversation en solitaire d’une heure et demie, en les attendant Paul et lui, au Saguaro avec Petit-Fruit-Des-Bois qui a quand même toujours beaucoup à prouver, et un final aussi ennuyeux et déprimant que vendredi, j’aurais pu faire mieux. J’ai trop hésité à aller à la fête, parce que je n’y avais pas été formellement invité. Joris m’a raconté, tout content, avoir vu la toute fraîche copine de Mathieux, et avoir discuté avec l’ancien chanteur de Bad Wound, qui a arrêté de travailler depuis bientôt un an, et part s’installer en Auvergne pour retaper une maison pas encore habitable et faire de la sculpture sur bois. Moi, je me suis à nouveau enfermé. En fait, c’est vraiment de changer d’air moi aussi dont j’aurais besoin. Je n’ai en tête que de me casser vivre à Méliniac ou dans des campagnes plus lointaines pour échapper à tout ce cirque dont je ne tire rien ; là j’en suis presque parvenu à me consumer en entier, à force de si mal savoir me bâtir une existence. Joris trouve que c’est un jeu presque trop facile de m’emmerder avec mes points faibles, mais il a raison, tant ils sont apparents.

Aujourd’hui, élections régionales en France (inintéressantes). Avant que les parents ne nous déposent au tram Joris et moi, on est allé voter en famille : je n’ai pas trop aimé. Devant les bureaux de votes, rencontré Fred et Adeline, puis Bérengère, juste rentrés de leurs vacances au ski ensemble. C’est bizarre, tout de même, qu’aucun d’entre nous n’ait changé son lieu de vote, alors que nous avons quitté le Pont depuis plusieurs années. Ce qui me paraît toujours incroyable, c’est le score effectué dans certains départements par le Front National : par exemple 30% des voix dans les Bouches-du-Rhône.

[1] Il est d’une grande générosité, il m’a donné un cadeau pour Joris, le dernier album de Yann Tiersen, qu’il lui fait simplement à la suite d’une petite conversation vendredi chez Paul.