Mardi 21 avril 98, Nantes

Convié Broerec à voir Jackie Brown, le dernier Tarantino. Ceux qui s’occupent que ça rapporte de l’argent, surfant sur la vague de Pulp Fiction, et comptant sur un succès comparable, n’ont pas lésiné sur les moyens : j’ai rarement vu un film avec une telle couverture médiatique (et si longtemps avant sa sortie), ni un tel merchandising envahissant. C’est pénible. Ce n’est pourtant pas le même genre de film : beaucoup plus modeste et classique. On reconnaît néanmoins la patte du réalisateur, son goût d’une même scène vue successivement selon le point de vue des différents protagonistes, son obsession pour les seventies, pour les dialogues abondants sur des sujets foireux (avec cette fois pour leitmotiv ces « nigger » que lâche à tout bout de champ Samuel L. Jackson avec des sens variés — ça change des « fuck » de Casino, par exemple, lancés avec un débit de mitraillette). La première scène où apparaissent les deux personnages masculins est à ce titre du même tonneau que celle sur Madonna dans Reservoir Dogs ou celle sur les hamburgers dans Pulp fiction : cette fois ils dissertent sur les flingues, tout en matant à la télé des pubs de vente d’arme au grand public aussi hilarantes qu’inquiétantes (est-ce que ces trucs là sont vraiment en vente, ou est-ce une blague ?). Et De Niro est très bon, dans un rôle peu loquace d’ex-taulard prolo à tatouages, qui finit presque par faire oublier l’acteur. J’ai dit que c’était un film plus classique, et ça l’est, notamment parce que le récit suit de beaucoup plus près que dans les précédents l’ordre de l’histoire, mais c’est aussi que je l’ai lu dans les journaux ; j’ai au contraire pensé que c’était souvent parodique : l’intrigue est quand même assez bidon, avec des invraisemblances dans l’ensemble comme dans les détails, et tant le jeu des acteurs que la manière dont, par moments, ils sont mis en scène, sont très outrés : toute l’histoire d’amour entre les personnages de Pam Grier et Robert Forster est de ce point de vue extrêmement cinématographique, avec des mimiques très référencées ; le personnage de film de Michael Keaton est un décalque du jeu des flics dans les séries américaines, etc. Dans l’ensemble, un film réjouissant, dont je suis ressorti content ; un peu long quand même. Ensuite, satisfait au Saguaro une furieuse envie de bières (inassouvie depuis cinq jours), en compagnie également de Céleste, la copine de Broerec, qu’on a prise en passant au retour du cinéma. Donc, une bonne soirée.