Vendredi 11 septembre 98, Nantes

Un air de réunion de rentrée de ma société des alcooliques (qui aspirent à ne pas être) anonymes à la terrasse du Flesselles, rentré en grâce[1] — à part Broerec et moi, tous les trentenaires qui font l’exubérant ordinaire de mes fréquentations nocturnes, tous gens qui boivent sec et parlent grand : Bruno Richard (revient d’un mois en Uruguay), Radulphe, les deux plus posés du lot, qui ne participent qu’avec recul aux débordements des autres ; le sémillant Ermold, beaucoup plus détendu qu’il l’a été ; Adalard tel qu’en lui-même (je ne l’avais pas vu depuis plusieurs mois) et qui, avec ses cheveux trop longs se donne des airs du chanteur de Blur ; une sorte d’Aramis contemporain, qui rejoint plus souvent ce cercle, et que j’apprécie assez. Pour finir le frère aîné d’Adalard, qui sous ses airs propre sur lui et de ne pas y toucher, ne pense qu’à baiser, et se vante d’avoir mis dans son escarcelle une gamine de dix-sept ans. Ça le pose auprès des copains. On imagine les conversations. Il faut les entendre jauger l’élément féminin en maquignons sûrs de leur fait. Broerec n’est pas le dernier. Il s’est contraint tout l’été, et avant que la bise fut venue, il se remet à hurler (il est pénible avec ça) qu’il veut des filles, qu’il veut de la baise, des culs fermes et des chattes. À chacun ses frustrations ; je me fais taxer de romantisme échevelé, mais la plupart tiennent justement ces discours parce qu’ils ont déjà une fille dans leur lit : rencontrer quelqu’un de satisfait est rare. Et puis beaucoup de bruit pour être le coq de la basse-cour. Adalard-l’aîné, Ludovic Joubert, autoproclamé spécialiste en la matière, déclare que plus une fille est cultivée moins elle baise bien. Ça engendre des commentaires à n’en plus finir. Des égrillardises qui se dispersent dans le vent et les vapeurs d’alcool. J’aurais mieux fait d’aller voir L’Homme à la caméra chez Joris, mais je me laisse entraîner. Moi aussi je suis devenu un rat de bistrot. Mais j’aime cette ambiance, où je connais assez bien les gens pour ne pas avoir à jouer au-delà du supportable, bien plus distrayante que d’autres même si elle a son lot de gros ridicule.

Qu’Ermold avoue s’être traîné comme une larve mercredi, avec un mal de tête de chien, me rassure ; je me sens moins seul dans l’ivresse passée — à le voir tituber dans la rue en rentrant, et se cogner à moi tous les trois pas, je ne me faisais au fond guère de doute sur son état cela dit.

[1] Après qu’il ait été dénoncé comme un de ces affreux viviers de vaine branchitude, retour piteux de ceux qui ont échoué à en créer ailleurs un du même type où ils seraient seuls maîtres du goût ?