Mercredi 17 février 1999, Nantes

Retour de Méliniac en début de soirée. J’y serais bien resté plus longtemps : je vais y retourner dès que possible. C’est agréable (enfin surtout s’il fait beau, ce qui n’a été que très partiellement le cas ces trois jours), revivifiant ; et la ville ne me manquait pas. Vraiment pas. J’ai réussi à travailler un peu, peut-être pas mieux que si j’étais resté dans mon appartement perché, mais avec moins de stress, moins de distractions possibles (puisqu’il n’y a même pas le téléphone). Je ne change pas assez de cadre, c’est clair, je finis par mariner dans mon jus, sans ressort. J’en suis trop réduit d’habitude à faire les mêmes choses, voir les mêmes gens, sans plus y voir l’intérêt que je pourrais y porter. Évidemment — et c’est ce sur quoi insiste Joris — on s’ennuie vite, seul à Méliniac : j’étais tout de même content qu’il rentre le soir, pour voir quelqu’un, et ne pas tourner en rond à nouveau. Vu aussi Mathieu et Jennifer lundi et mardi soir ; dans la maison de la grand-mère de Mathieu d’abord, grande bâtisse qui donne directement sur la plage, entre Batz et Le Croisic, puis chez nous. On a été assez scatologiques, on a appris à Jenny un tas d’expressions super vulgaires[1], et il faut dire que la nourriture végétarienne fait péter (Matt est végétarien depuis toujours). Aussi discuté longuement de Loïc, qui lose un peu depuis un moment, n’arrive pas à décoller de cette situation d’entre-deux déclinant où il est depuis les premiers bons échos qui avaient suivi la parution de son cinq titres, et s’enferme dans une attitude peu propice à la réussite, qui tient autant d’une radicalisation que de la paresse et (c’est probable) du doute. Matt nous a aussi appris que Marko venait d’annoncer qu’il allait revendre la maison qu’il a acheté à la campagne, parce que les frais de remise en état sont vraiment trop lourds pour lui ; un revirement étrange, mais Marko est comme ça. Il s’en fiche de l’argent. Il vient pourtant d’acheter un 8-pistes numérique, et comptait sur cette maison pour s’installer un studio, avec sa batterie, remisée depuis trop longtemps — ainsi qu’un atelier pour peindre. Matt m’a à ce sujet prêté une démo de lui qui doit avoir un an ; vraiment bizarre, très barrée, des « chansons » basées souvent sur des rythmes de batterie qu’on n’entend nulle part ailleurs, fracturés compulsifs, qu’on pourrait vaguement rattacher au free jazz (dont Marko ignore tout cependant), avec des guitares mal accordées et des paroles impossibles, un chant à la limite de l’incantatoire par moments. Ce type a une liberté extraordinaire — et c’est aussi ses limites. Il n’hésite pas, il jette tel quel ce qu’il a dans la tête, on devrait plutôt dire dans le sang, il ne craint rien, et, à son niveau (encore) modeste, se lance sur des voies que je n’emprunterai jamais avec naturel, quel que soit le domaine. Si j’étais patron d’un petit label de vinyles lo-fi, je publierais la démo telle quelle. Il va falloir que j’en envoie une copie à Clément ; c’est inattendu, mais il avait bien aimé une démo que Marko lui avait passé l’hiver dernier, qui lui faisait penser (à raison) au toujours fameux Syd Barrett dans les trois albums solos publiés au début des années 70, son testament musical avant qu’il disparaisse de la circulation[2]. J’aurais le temps de me consacrer de nouveau à un groupe — la disponibilité d’esprit plutôt, puisque ce n’était pas le temps que ça me prenait dans La Musique — c’est avec lui que j’aimerais jouer ; de même pour Joris. C’est même bien la première fois que l’idée de jouer avec quelqu’un avec qui je n’ai pas joué avant ne me paralyse pas (l’expérience avec Patrice et Mathieux a été tellement pénible…).

         Comme je n’avais apporté avec moi que les disques que je venais d’acheter à la FNAC, je les ai écoutés bien plus que je ne l’aurais fait à Nantes : l’album de Tarwater est décevant, beaucoup moins intrigant que ce que le concert laissait présager ; j’en ferai vite le tour, si ce n’est déjà fait ; ils ont été surestimés, de toute évidence (c’est notamment moins intéressant que Third Eye Foundation, auquel leur concert m’avait poussé à les comparer). En revanche, celui de Perio est formidable. Également pris un Kraftwerk, trouvé par hasard à pas cher ; une électronique rachitique et agréablement ringarde aujourd’hui (donc certainement très in), dont il est évident qu’elle a eu une influence déterminante sur New Order.

 [1] Elle parle, avec un accent britannique aisément identifiable, un excellent français, mais est moins bonne pour les expressions idiomatiques et les tournures vaguement désuètes dont on est friands entre nous.

[2] Il vit enfermé chez sa mère depuis ce moment-là dit-on, plus ou moins fou.