Samedi 20 mars

Un samedi tout à fait samedi, le cerveau un peu brouillé des sorties de la veille[1], sans enthousiasme franc pour quoi que ce soit, feuilleter des livres, fumer d’inutiles cigarettes debout le regard perdu par la fenêtre monotone, se décider pour travailler un peu, mais toujours trop tard, et les pieds en sueur dans mes chaussettes (aussi désagréable que de n’avoir pas les dents lavées). Ce soir Fred fait un petit truc dans la maison de D., enfin de sa mère, pour son anniversaire. Je n’en attends pas un bien grand plaisir — je me détache en ce moment de ces amis de longue date.

Ce matin je suis sorti acheter un cadeau pour Maman (les six petits volumes de Corpus Christi, que j’ai eu du mal à trouver)[2], et je n’ai résisté à dépenser encore pour moi de cet argent que je n’ai pas. Quelques livres faciles, pour cette période où je ne parviens pas à trouver la disponibilité nécessaire à lire ma littérature d’ordinaire — et tout de même, un recueil de nouvelles de Kosztolányi, à 20 F. Aussi un disque (ce n’était pas mon projet), qui m’a séduit à l’écoute à la FNAC : un album de Hovercraft, trio instrumental américain un peu difficile, qui fait penser (en moins pire) aux disques que Sonic Youth sort sur son label SYR, ou au défunt groupe français Bästard ; un monde qui m’attire beaucoup, mais dans lequel il m’est difficile de m’orienter avec mes faibles moyens financiers : il y aurait tellement de choses à acheter. En tout cas un genre de musique dont je ne pourrai pas partager l’écoute avec grand-monde : ce sera considéré comme du n’importe quoi et du bruit.

        

En ville aujourd’hui, c’est la braderie, mais (ou : à cause de ça) je n’ai croisé personne de connaissance.

[1] Sorties de la veille : inaugurées par la performance en solo du saxophoniste Evan Parker au musée des Beaux-Arts, de longs morceaux sans une pause, oscillant (et c’est bien le terme) entre free jazz et musique répétitive, et par instants curieusement polyphoniques. Captivant, quoique d’où nous étions placés à cause de notre retard, on ne voyait strictement rien.

[2] Ainsi qu’un pour Fred, par la même occasion, une petite BD des éditions Cornélius en format à l’italienne, aventures amoureuses en strips du blaireau Francis, qui commencent immanquablement par : « Francis se promène dans la campagne. Et soudain… » (et soudain, il rencontre…, il garde du bétail dans le Far West, il trompe sa femme, etc…). C’est assez marrant, comme nombre de ces bouquins que sortent aujourd’hui une pléiade d’éditeurs microscopiques et inventifs.