Il pleut, pour la première fois depuis un moment (il a régné une chaleur intense et blanche toutes ces dernières semaines). Malgré mon odorat émoussé par le tabac, l’air sent bon — cet après-midi, ce sont surtout des odeurs désagréables qui frappaient les narines, odeurs de haies coupées, comme de la merde de chien, remugles de la terre brutalement rejetés. Ce soir, j’aurais bien fait quelque chose, j’ai commencé par pas mal m’ennuyer ; j’ai appelé Joris, mais il était (comme d’habitude) avec Stéphanie : ça me rend jaloux de le sentir dans un tel bonheur surexcité. Puis je me suis mis à la lecture de Feyerabend ; j’ai d’abord pensé que ce serait chiant, j’ai pris le livre faute de mieux, pour avancer. Quelle erreur ! Une pensée sacrément revigorante. Voilà ma confiance dans la réflexion qui revient. Certaines pages m’ont fait songer très directement aux suggestions qui closent le toujours fécond « Pierre Ménard », celles qui promeuvent « la technique de l’anachronisme délibéré et des attributions erronées » :
« Cette technique, aux applications infinies, nous invite à parcourir L’Odyssée comme si elle était postérieure à L’Énéide et le livre Le Jardin du Centaure de Mme Henri Bachelier, comme s’il était de Mme Henri Bachelier. Cette technique peuple d’aventures les livres les plus paisibles. Attribuer L’Imitation de Jésus-Christ à Louis-Ferdinand Céline ou à James Joyce, n’est pas renouveler suffisamment les frêles conseils spirituels de cet ouvrage ? ».
Dans l’après-midi, je suis passé à la fac voir Yoda, pour lui porter mon chapitre ; je ne peux me départir face à lui d’une grande timidité, de celles qui voilent la voix, mais nous avons discuté abondamment, de mon travail, et de choses et d’autres. Il pense qu’étant donné ce qu’est Branger, celui-ci voudra m’en faire réécrire la moitié.