Dimanche 9 mars

Hier soir, je pensais ne rien faire, un peu malgré moi ; la lenteur de la répétition pour le film de Joris chez Math m’avait exaspéré, et puis la soirée de vendredi avait été longue et avinée, fatigante (décevante sur le plan de l’amour aussi). Mais Fred m’a proposé d’aller au cinéma. J’étais content qu’il pense à moi, quoiqu’un peu gêné, puisque je néglige beaucoup ces derniers temps mes vieux amis (en même temps, on était tombé l’un sur l’autre vendredi à un vernissage, et lui aussi semble passer le plus clair de son temps avec son groupe de rock). On a choisi Lost Highway, le dernier Lynch. Il était temps pour le voir, puisqu’il ne passe déjà plus qu’au Concorde, et qu’on n’était que huit dans la salle ; il paraît d’ailleurs que ce cinéma va fermer, il n’arriverait plus à supporter la concurrence de l’UGC Apollo du centre-ville, avec ses séances à 10F. C’est dommage, ces cinémas hors des sentiers les plus battus qui mettent la clef sous la porte : c’est la même chose partout, les gros groupes font disparaître les indépendants. Le Concorde, comme c’est très excentré, je n’y mets, cela dit, que rarement les pieds.

Le film de Lynch est surprenant (enfin pas tellement de sa part) ; on ne comprend pas grand-chose à l’histoire, si on cherche à lui appliquer les critères habituels de lisibilité : c’est même impossible. Les personnages sont à la fois doubles et ne le sont pas ; pour les cas les plus simples, ils ont deux identités ; mais si certains existent, d’autres semblent ne pas exister (comme le type bizarre avec les sourcils rasés, qui a le don d’ubiquité ; mais expliquer ce phénomène par le fait qu’il serait une projection des fantasmes des autres personnages serait une manière probablement trop classique de régler la question). On n’est pas bien sûr de saisir ce qui leur arrive, comment ça se produit ; et quoique l’action se situe dans un présent, l’avant et l’après sont mélangés sans que rétablir une temporalité linéaire paraisse jamais possible (avec en plus ces personnages qui partagent la même histoire et sont pourtant différents dirait-on). Un vertige continuel. Après réflexion, ça me laisse un peu sur ma faim, je m’attendais à quelque chose de plus extraordinaire ; j’aurais encore plus mélangé tous les éléments à sa place, crée plus de liens ; il y a peut-être trop de pistes trop vite abandonnées. Mais c’est justement que j’ai l’esprit trop rationnel, et que je suis perdu lorsqu’une cohérence minimum est impossible à établir : ce n’est pas un suspense à la Hitchcock, à l’évidence. Ça reste quand même hallucinant ; et l’utilisation souvent abstraite des images est magnifique (un truc vraiment trop rare au cinéma).

https://www.youtube.com/watch?v=jFlLTMYd_98