Sieste presque tout l’après-midi. Le baron Ermold m’a prêté (après que j’ai eu longtemps insisté : on oublie beaucoup, de nos jours) l’Initiation à la haute volupté, d’Isidore Isou, qu’il considère comme un chef-d’œuvre voire le chef-d’œuvre : « mais c’est dément, Isou, c’est dément ! C’est grand ! »
Depuis il ne cesse de me pomper pour savoir si je l’ai lu ; lui, un livre comme ça il se jette dessus et il le dévore tout d’une traite, il ne peut pas le lâcher… Je m’y suis mis ces jours-ci – moi, souvent, avant de m’y mettre, un livre, je lui tourne autour, je le feuillette, je le repose. Eh bien je trouve ça particulièrement chiant et inintéressant. Le texte : nullement révolutionnaire à mes yeux, au contraire de ce qui m’était annoncé à grands renforts de cris ; et les idées – puisqu’il paraît qu’Isou est un maître reconnu –, je ne vois pas. C’est très positiviste ; sans intérêt pour moi. Je veux bien croire que replacé dans le contexte, le début des années 60, c’était nouveau ; mais je ne regarde pas les livres en historien de la littérature. Alors certes il y a les dessins, impossibles à considérer indépendamment de l’ensemble, puisqu’ils font partie non seulement de l’intégrité de l’ouvrage mais de la continuité même de la narration… Là, rien à dire, c’est original ; étonnant même. Je suis tenté de lire une sorte d’ironie dans le fait d’accorder des dessins érotiques maladroitement réalisés et des commentaires imbitables sur l’érotisme, plutôt que d’y voir le projet d’un étudiant en philo médiocre dessinateur, mais je ne sais si c’est conforme à l’intention. Et puis les « signes hypergraphiques » qui parsèment ces pages de dessins… Oui, bon ; mais la conceptualisation semble un peu pauvre. L’auteur éprouve même le besoin, dans la première page de dessins, de préciser : « le texte français traduit les signes neufs, hypergraphiques. » Dans ce cas il s’agit d’une pseudo-écriture, superfétatoire puisque sans autonomie, ne comptant pas pour leur seule caractéristique graphique. Puisqu’il est question d’amour, pardon du conservatisme, je préfère Manon Lescaut, que je lis en ce moment – mais le rapprochement des deux textes relève de la coïncidence.
Il faudra qu’on en parle. Je me connais, j’atténuerai, c’est probable, les termes de ces critiques. Et puis je ne sais pas quand je verrai Ermold, j’ai décidé de moins sortir cette semaine. Il faut que je me retrouve un minimum ; et pour ce qui est précisément de mon rapport avec lui, cette histoire de jalousie est tellement ridicule que mon admiration en prend un coup ; voire que j’ai de la circonspection (ce ne serait peut-être pas un mal). Disjonction des doubles.
Hier matin, c’était les obsèques de Grand-Mère. Il faisait aussi froid que dans les scènes d’enterrement dans les films. Là encore je suis resté très détaché, m’ennuyant presque à la messe (où je n’avais pas mis les pieds depuis l’enterrement de Grand-Père). Je n’étais pas vraiment là ; j’ai écouté la musique, les sonorités des voix dans l’église, et ai gardé tout du long un air buté. Joris était dans le même état d’esprit. Déjà on a failli arriver en retard. C’est dommage de ne pouvoir faire à quelqu’un l’hommage de sa souffrance au moment de sa mort, au moment où on la célèbre une dernière fois ; on peut éprouver là qu’il est juste de souffrir, comme une sorte de partage dernier. Mais je ne voulais pas me laisser aller, peut-être que j’avais peur de craquer aussi ; une question de santé mentale, ou quelque chose comme ça. C’est pour ça que je n’ai pas voulu aller voir son corps. La cérémonie comme la réunion ensuite à la maison autour d’un buffet m’ont semblé presque dénuées de signification précise ; du moins celle-ci était diffuse, de l’ordre du communautaire simplement (ce qui n’est peut-être déjà pas si mal). Mais je ne suis pas fier de moi.