Mardi 1er avril 1997

Je ne suis pas le seul à penser que ce qu’on attend n’arrive qu’au moment où on n’aurait justement jamais cru que ça puisse arriver. Voici la phrase qui ouvre la dernière scène du Temps retrouvé (chez Proust, elle n’est guère étonnante) :

« Mais c’est quelquefois[1] au moment où tout nous semble perdu que l’avertissement arrive qui peut nous sauver ; on a frappé à toutes les portes qui ne donnent sur rien, et la seule par où on peut entrer et que l’on aurait cherchée en vain pendant cent ans, on y heurte sans le savoir, et elle s’ouvre. »

J’ai retrouvé Broerec en début de soirée, pour aller boire quelques coups à la terrasse du Flesselles, histoire de profiter des derniers rayons du soleil (qui se couche vers neuf heures, maintenant qu’on a changé d’heure) ; je pensais aussi retrouver Paul, mais on s’est raté. Avant, Broerec m’a fait monter chez lui, pour écouter quelques disques. Sepultura, contre toute attente, m’a séduit assez pour que je lui emprunte ; c’est pourtant ce qui se fait de plus dur en matière de metal, avec une voix de tuyau de salle de bain (quand on rouvre l’eau après l’avoir coupée pour partir en vacances) ; mais les riffs très lourds conviennent bien à l’état d’esprit que j’ai souvent en ce moment (ce que je déteste dans le metal, c’est plutôt son côté démonstration, vaine virtuosité, qui là sont absents) ; et puis il n’y a pas non plus de solos de guitare. C’est brut au possible. En plus, c’est un groupe brésilien, ça change un peu, et c’est bien de voir qu’on n’y fait pas que cette trop souvent ignoble world music. Ils intègrent cependant quelques bribes de musique d’Amazonie, par le biais de percussions de temps en temps, ou de chants indiens, mais ça ne fait pas racolage – même si je suppose que ce sont des urbains très éloignés de cette culture. Avec sans doute un propos politique vu le titre « Roots Bloody Roots ».

Je ne songe pas à me convertir au trash metal pour autant.

[1] Et lorsqu’il écrit quelquefois, il doit penser toujours, mais n’ose choisir cet adverbe-là, qui paraîtrait trop péremptoire.

Je n’ai pas pu m’empêcher de parler de la jalousie d’Ermold à mon égard, qui présente un autre aspect beaucoup moins sympathique de cette noirceur dont je me suis jusqu’ici plu à le peindre ; je n’aurais pas dû, puisque j’avais promis à Marie-Charlotte de tenir ma langue mais j’ai assez confiance en Broerec (quoiqu’il soit comme moi curieux) pour le lui confier. Et puis lui aussi aime beaucoup Marie-Charlotte, m’a-t-il dit. Son charme lunaire se répand. Si ça se trouve, je ne serai bientôt plus le seul à pâtir de jalousie… Mais c’est lourd à porter ; c’est pour ça que j’ai dû m’en ouvrir. Je ne me serais certainement pas rendu compte tout seul du pourquoi de l’attitude d’Ermold (tant, déjà, ça me semble aberrant). Difficile, en revanche, de ne pas remarquer sa constante agressivité envers moi depuis quelques temps. Il ne manque pas une occasion de me casser, surtout en public bien sûr, parfois assez méchamment (à propos de Sarah, par exemple ; il cherche à me faire passer pour un loser – la faille n’était pas bien difficile à trouver). Je le savais acide, mais pas comme ça. Et c’est ce côté fouine sournoise qui aggrave encore les choses, finit par les pourrir à cœur ; je préférerais cent fois qu’il m’ait attaqué de façon directe : au moins j’aurais pu me défendre. Même si avec lui ça ne change pas grand-chose.