Aujourd’hui, élections législatives en Algérie ; les bureaux de vote sont sévèrement contrôlés par les militaires, à ce qu’on lit. Si ce n’est pas un scrutin seulement de pure forme, il ne faut pas non plus en attendre grand changement : quand des militaires sont au pouvoir, ils ne le lâchent pas facilement. Les gens que la télé a montrés avaient l’air content d’aller voter dans l’ensemble. Le parti islamiste modéré (les autres sont interdits – est-ce un mal ? –, ou ont, de façon attendue, refusé de participer) a des femmes candidates. L’une d’elle déclare : « La laïcité, ça ne convient pas à nos pays, c’est importé. »
Ce midi au collège ma collègue d’origine tunisienne a prétendu quelque chose du même ordre : les femmes ne sont pas faites pour être ministres. Elles peuvent conseiller, etc… mais ministre, ce n’est pas dans leurs capacités (on parlait du nouveau gouvernement ici, où il y a huit femmes). Elle est plutôt cultivée, ouverte, toujours vêtue avec une élégance de catalogue de mode (jolie fille avec ça), mais a des formes de pensées qui ne cessent de m’étonner — celles qui, pour donner un autre exemple, vont guider le mode de rapport qu’elle a avec les garçons : forcément emprunt de discrétion. Je préfère écouter que me lancer dans une polémique (le lieu est inadéquat). Cette différence, très rarement côtoyée, m’intéresse beaucoup ; j’ai forcément tendance à la considérer comme un archaïsme. Ça me semble vraiment trop donner le bâton pour se faire battre. Le fait qu’elle ne le ressente pas ainsi invalide-t-il ou non cette idée ? Si proche et si lointaine, l’Afrique du Nord est attirante.
Ci-dessous, la une de Ouest France annonçant la formation du gouvernement, retrouvée dans le garage de la maison de Méliniac en 2020.

J’ai appelé à la maison pour avoir Joris, m’enquérir de comment il allait, mais il était parti, chez une des copines qu’il a en commun avec Stéphanie (et avec qui il a couché régulièrement pendant que celle-ci était en Angleterre) : celle qui a été sa confidente le soir avant qu’elle ne prenne la décision ferme de le larguer. J’ai eu Maman. Elle m’a dit qu’il était aujourd’hui encore « à ramasser à la petite cuillère ». Impossible de ne pas passer par la souffrance ; on sait que ça va faire mal, mais impossible d’y échapper ; il faut en passer par là. C’est le processus normal. La voie que doit emprunter la guérison (lente). Enfin je ne peux me baser que sur mon expérience, mais je ne crois pas que la sienne sera de ce point de vue bien différente — pour la suite, on verra. Il était tellement accroché à l’amour qu’il avait et voulait avoir pour elle qu’il ne peut en être autrement. Maman pense que si ça n’a pas craqué avant, c’est justement à cause de la puissance presque désespérée de son attachement à lui (le sien envers elle) ; parce que Stéphanie demeurait froide, difficile à approcher. J’avais tendance à estimer que la raison en était qu’elle était coincée (terme passe-partout, mais disons qu’elle est pleine de barrières) ; qu’elle ne savait pas exprimer ses sentiments. Mais je ne les voyais que de l’extérieur, et d’assez loin finalement malgré les années de fréquentation. Maman est plus dure, elle pense qu’elle n’avait pas beaucoup de sentiments ; à partir d’un moment, selon elle, elle s’est laisser aimer, parce que ça lui faisait du bien. Et c’est vrai que si Joris était prêt à tout, elle donnait peu en retour. Il y avait un vrai fossé entre eux de ce point de vue.
On est souvent surpris par une séparation, elle vient déranger les habitudes, remettre en cause la stabilité (espérée) des choses, mais celle-ci était assez prévisible au fond : Joris lui-même, devant les échecs de ses continuels efforts, en entrevoyait de temps à autre la possibilité, et il en parlait ; bien sûr sans vouloir y croire. Il ne cessait d’en repousser l’idée. Plus prévisible que ma séparation d’avec Fanny, que beaucoup ont reçue comme un choc — même si de mon côté j’étais bien conscient des racines qui ont fini par la provoquer. Je suis pris entre deux interprétations divergentes, celle de Joris qui continue (et c’est bien normal) à vouloir presque excuser Stéphanie, et celle de Maman dont le jugement est sans ambages. Mais j’ai tendance à accepter plus volontiers la sienne : Joris est, et n’a cessé d’être aveugle — même s’il serait exagéré et inexact de prétendre que Stéphanie s’est foutue de lui : on ne peut faire aussi bon marché de la complexité des sentiments (et sa décision est plutôt à son honneur, même si elle aurait pu avoir le courage de la prendre bien avant, avant son départ en Angleterre par exemple, qui aurait laissé le temps de cicatriser les plaies pendant son absence. On dit toujours qu’il est plus facile de quitter pour une autre personne, mais ça doit être encore plus vrai quand on a été adorée comme une déesse). Est-ce que ma (relative) inimitié pour elle influence mon opinion ? Sans doute ; mais dans quelle mesure celle-ci ne trouve pas une partie de son origine dans la conscience que j’avais d’un blocage, dont les signes étaient parfois palpables ? — ainsi qu’il en est pour Maman. Bien sûr je ne devais pas aimer (et c’est ce qui est arrivé en effet) voir mon frère « s’éloigner » avec une fille1, mais encore moins le voir tomber sous sa coupe et perdre toute apparence de jugement, même s’il l’a aussi pas mal influencée et tirée dans le sens d’une mentalité qu’elle semblait parfois avoir un peu de mal à faire sienne (mais ce sont des effets plus diffus, où les faits précis et localisés sont rares). Parce que c’était bien ça, il était à ses pieds : prêt à accéder à tous ses désirs et caprices, ne donnant l’impression de ne vivre que pour elle et dans certains cas par elle ; s’il voulait quitter une soirée, lui qui n’aime guère veiller, il fallait toujours qu’il aille vers elle et lui suggère « Tu es sûre que tu n’as pas envie de rentrer ? tu n’es pas fatiguée ? » sans être capable de rien imposer par lui-même ; quand en revanche elle émettait le ferme désir de rester, il la suivait résigné. C’était « Stéphanie veut ceci,Stéphanie veut cela, Stéphanie par-ci, Stéphanie par-là », et c’en était triste de le voir avec si peu d’autonomie. Il y voyait son bonheur, pour des raisons dont le fond demeure pour moi confus (mais sait-on pourquoi on est amoureux ?), mais ça ne l’en fait tomber que de plus haut maintenant.
Après ça je suis sorti rejoindre au Saguaro Broerec, qui m’avait appâté avec la présence de Ferni et divers autres, alors que j’avais plutôt envie de rester tranquille ; mais personne n’est venu, et on a passé le temps tous les deux jusqu’à deux heures, finissant dans un pub bondé et « très jeune d’esprit », à parler de musique, et de filles faute d’en avoir sous la main. J’ai dépensé pas mal d’argent et suis rentré fatigué de cette soirée au fond inutile (au-delà d’avoir été capable de bien la passer). Et demain soir c’est le concert de Loïc chez Pichon.