Hier avant de partir, j’ai terminé un petit texte de trois pages, une nouvelle quoi, et j’en étais tout excité : ça arrive si rarement ! (même si je me dis que maintenant c’est [re]parti et que je vais en faire d’autres). J’en ai apporté des exemplaires avec moi, et presque tout le monde l’a lu ; j’en ai donné un à Sophie, accompagné des quelques lignes d’hier manuscrites. C’est un peu grâce à elle que je l’ai terminé — ou du moins terminé aussi vite : depuis qu’elle avait lu le début un soir qu’Arnaud et elle étaient passés ici, elle n’a cessé de demander quand elle pourrait lire la fin[1]. De savoir que c’est attendu aide beaucoup à travailler, n’est plus en jeu ma seule (et faible) volonté. J’ai moins peur de faire lire ce que j’écris. Même si évidemment la plupart ont voulu savoir si c’était autobiographique, et que c’était embêtant parce que oui. Ça parle de Sarah, forcément. Je lui ai donné pour titre « Un Problème lié au préservatif », mais ce n’est pas très satisfaisant (quoique ce soit éclairant).
Soir : fraîcheur, et magnifique ciel plombé, sur lequel peu à peu s’étend la nuit ; quelques lumières d’un jaune très orangé complètent le tableau. L’horizon s’est considérablement rapproché.
Sur mon bureau la petite théière chinoise que j’ai achetée à Pier Import en rentrant dans l’après-midi : depuis mon déménagement de la rue Félibien, c’est un objet qui me faisait défaut. Celle-ci porte les légères traces du premier thé que j’y ai fait : du thé au gingembre. Elle est d’un bleu pâle, avec des motifs plus soutenus et la technique « en grains de riz » (je crois qu’on appelle ça comme ça), qui produit des points plus translucides à intervalles réguliers. Je la trouve belle. Je suis content.
Avant, dans le bourg du Pont où j’étais parti acheter du pain, j’ai rencontré Clément qui sortait du bureau de tabac sur la place de l’église. Ni lui ni moi n’étions bien frais, puisqu’on a fini à nouveau à cinq heures du matin en sifflant le Cognac de Papa dans le salon[2]. Il n’était pas prévu que je le revoie, il part à Toulouse ce soir, d’où il prendra l’avion pour Montréal. Peut-être ne pourra-t-il rester jusqu’à l’été prochain, et devra-t-il rentrer en janvier, puisqu’il n’est muni finalement que d’un visa touristique ; peut-être aussi se mariera-t-il avec Hélène pour rester : la situation n’est pas claire, ni vraiment décidé ce qu’il fera là-bas. À part écrire, faire des chansons et changer d’air. Partir par amour peut-il suffire ? Nos adieux sont restés sobres.
[1] Elle a aussi aimé ce que je lui avais donné sur le concert de Loïc, et ça m’a fait plaisir ; j’accorde du prix à son appréciation.
[2] Grosse conversation. Lui et moi avons cherché à prouver à Fred que les cadres sociaux jouent dans la conduite de notre vie un rôle qu’on est loin d’imaginer. Fred est assez naïf sur ces sujets, il aimerait bien que les hommes soient tous frères (j’exagère à peine), mais sa position est peut-être plus saine. C’est un genre de conversation délicat, il faut louvoyer pour ne pas donner l’impression qu’on fait une apologie de la fermeture — et ce n’est jamais clair, en effet ; puisqu’on est toujours pris soi-même dans ce phénomène de circularité anthropologique, qu’on ne peut s’abstraire des rapports sociaux quand on veut en faire l’analyse, il n’est pas innocent de défendre telle ou telle position. J’ai beaucoup parlé. Trop certainement.