Mardi, vers le 20 août

En rentrant, j’ai allumé la télé (comme ça m’arrive malheureusement presque tous les soirs ; j’aimerais que mon existence soit assez intéressante pour m’en dispenser, mais ce n’est pas le cas). Je suis tombé sur Arte sur Une porte doit être ouverte ou fermée de Musset, interprété par Marianne Denicourt et Thibaud de Montalembert. Ça m’a profondément réjoui. Enfin presque, puisque toutes les histoires d’amour me renvoient désespérément au vide de ma vie sentimentale. Mais c’était assez beau et juste pour me redonner des bribes de confiance, et, simplement pendant la pièce, pour me donner des moments de vrai plaisir. Le texte est magnifique, et tel qu’il était donné, sonnait encore tout à fait à mes oreilles. L’amusant est qu’il était filmé, très bien, avec une science sobre du cadrage, par Benoît Jacquot, et que ce matin même j’avais relu le passage de mes notes, en juin 1993, où je tirais à boulets rouges sur son film La désenchantée — d’une manière maladroite et rapide, mais dont je persiste à penser qu’elle était fondée.

Avant ça, en fin d’après-midi, je suis sorti acheter des cigarettes (de ne pouvoir fumer, je n’ai presque rien fait de la journée), et comme j’ai dû aller jusque place du Bon Pasteur, à cause de tous les magasins fermés pour les vacances, je me suis décidé à faire un tour jusqu’au Bouffay. D’abord, je me suis arrêté aux étals placés devant la vitrine par Vent d’Ouest (des bacs de trucs invendables, en solde), et j’ai trouvé deux bouquins de Chomsky à 30F pièce : Aspects de la théorie syntaxique et La Nouvelle syntaxe. Ensuite, contrairement aux fois précédentes où j’avais toujours rencontré des gens, pas une connaissance. Je me suis quand même assis à la terrasse du 13&3, et j’ai commandé une bière. Je commençais à désespérer de voir personne, et maugréait, malgré ma lecture, sur l’intensité du sentiment de solitude que provoque le fait d’être tout seul au café (ça me donne même mal à la tête), quand Mathix est arrivé avec un copain, puis un peu plus tard, Marko, l’ancien batteur de Bad Wound, bronzé comme un surfeur californien, et un autre copain. On a parlé de musique. En s’asseyant, Mathieux a fait remarquer que j’avais le teint rouge, et ça m’a affecté. Je suis donc encore plus laid que je ne pensais ! Un pauvre gars courtaud, rougeaud, un peu gras. Mon pauvre France, décidément… J’avais passé tout le temps que j’étais seul à lever les yeux de mon livre pour voir passer les filles aux longues jambes et aux robes courtes, et voilà qu’on m’apprend (sans penser à mal) que je suis le crapaud ! (« plus les filles sont sexy, et plus je me sens con… »). Je suis la version contemporaine des tristes petit-bourgeois des nouvelles de Maupassant, de Krúdy ou de Géza Csáth… Je les ai écoutés parler de leurs projets. Moi il y a des lustres que je n’en ai pas eu, des projets. Je ne sais même plus comment on fait pour en avoir. J’ai pensé parfois être le maître du monde, mais je ne fais que subir des jours qui n’en valent pas plus la peine les uns que les autres. J’écris un peu, et j’espère que je saurai persister, ça me donne l’impression de justifier mon existence, mais ce n’est que construire sur du vide. Nulle part il n’y a une quelconque nécessité que je le fasse. Pendant la longue époque où je n’ai rien fait, je rêvais de révolutionner le monde avec l’art, je me répandais en inutiles diatribes contre tous les autres : impuissance et jalousie. Maintenant je ne rêve plus de révolutionner quoi que ce soit.

Ensuite j’ai regardé un documentaire sur une expédition archéologique dans la jungle de Bornéo, partie à la recherche de trace d’un habitat préhistorique dans les cavernes creusées dans les falaises calcaires. Plutôt que ces conneries artistiques qui poussent à ne se regarder que le nombril et ne mènent à rien, voilà bien ce que j’aurais dû faire. Et c’est bien ce pour quoi j’étais parti, avant de me laisser gagner par l’idée d’être un poète maudit