J’étais occupé à farfouiller dans ma vieille chemise « La Musique » pour rassembler les bribes de textes qui pourraient servir pour ce que je veux écrire pour Clément (j’ai reçu une nouvelle lettre aujourd’hui, encore passionnante, émouvante), et je suis tombé sur un brouillon de « Un Océan de miel », que j’avais écrit avec en tête la guitariste du groupe d’indie américain Drop Nineteens, une certaine Paul Kelley, qui m’avait beaucoup impressionnée lorsque j’avais vu le groupe en concert, et ce brouillon était crayonné par Stéphanie. Elle avait rayé chaque Paula, et avait inscrit à la place Stéphanie. Je me suis mis à rire tout seul, j’adorais son esprit espiègle, toutes ces chatteries qu’elle faisait avec le plus grand naturel du monde ; c’était une des raisons pour lesquelles, malgré les difficultés, je l’aimais si fort. D’un coup, ces petits mots tracés au crayon de bois l’on fait revivre. Elle était à quelques pas. Mais je n’ai pas été « pour de vrai » transporté dans l’espace-temps, et mon rire a fini mélancolique. La joie est parfois au bord des larmes, et qui peut être une vraie joie (elle réapparaît dès que je jette un œil à la feuille placée sur le bureau à côté de moi). J’ai eu l’idée d’accrocher le texte quelque part, mais ça risquerait d’en user trop vite l’effet, et ne serait sans doute pas une excellente stratégie psychologique.
Aujourd’hui, il pleut par intermittence, le plafond est bas, et des bourrasques violentes y entraînent avec force de gros nuages gris. Je suis passé à la fac pour voir si je pourrai avoir des cours cette année (non : je ne sais si je dois m’en réjouir ou m’en plaindre), et je pensais n’y trouver personne, mais c’était jour de résultat ; j’y ai vu, au milieu des quelques anciens étudiants de communication, Bambi, à la peau toujours si fine et douce, les cils longs et noirs comme jamais, et dans le même état d’anorexie dangereuse. J’étais heureux. Elle habite Paris ; avec son poilu. Nous avons parlé en tête-à-tête quelques minutes agréables, d’autant plus que la rencontre était imprévisible. Quelle drôle de fille ; quel drôle de béguin j’ai eu pour elle.