Dimanche 5 octobre 1997

Dîner hier soir chez Joris avec juste Sophie et Bérengère (il fait souvent des choses chez lui en ce moment — je ferais plus souvent de même chez moi mais l’agencement est inapproprié ; vous êtres en droit de penser que c’est surtout une question de volonté). Personne n’était très en forme, et la soirée a été indolente. Nous avons beaucoup parlé, notamment de l’amitié après que je leur ai eu raconté mes propositions du matin. Avouerai-je que j’attendais plus d’un moment avec Sonia ? Cette soirée changeait des habitudes et c’est bien. L’atmosphère avait une autre coloration, chacun n’occupait pas l’espace de la même manière qu’à l’accoutumée. Mais ce dont j’ai envie ou besoin, personne ne peut me le donner parmi mes amis. Un peu trop tard, passé deux heures, Bérengère m’a déposé en bas de mon immeuble, et on est resté à parler dans sa voiture ronronnante, les propos et les silences ponctués par les mouvements réguliers du panneau publicitaire déroulant au carrefour. L’une des images, une pub pour du café ou du café instantané, était presque mangée par des lèvres vermillon se détachant sur du noir. Conversation déprimante : tous ces couples qui ne vont pas bien… Paul et Victoria ; Cédric et sa copine — Greg et elle (ce n’est pas pour rien qu’elle passe autant de temps à Nantes ces derniers moments plutôt qu’à Angoulême avec lui, même s’il y a d’autres raisons), mais elle n’a pas voulu en dire le moindre mot, et a sèchement aiguillé sur autre chose, c’est sa manière de faire. Je voudrais qu’au moins le monde autour de moi tourne rond. Je ne me sens pas du tout d’attaque à recevoir cette douleur, ou même ces simples doutes. Mais une fois remonté chez moi, l’air était frais et vif — j’avais laissé grandes ouvertes les fenêtres en partant.

Ce matin, voyage en tram et en bus jusque chez les parents, toujours avec Joris (nous sommes vraiment « les frères Balogh » depuis l’été. Jusqu’à ce que ça nous pèse ; mais pour le moment j’aime bien ; ça me va bien). Encore très beau temps. Une paix qui n’est pas celle de la nuit, que je connais mieux. Arrivés, j’ai convaincu Joris de passer au cimetière : il avait repéré des pierres tombales affreusement kitsch à l’enterrement d’Annie Legrand : une guitare ; des cœurs ; une sorte de vitrail très très laid avec une licorne chevauchant le globe terrestre et des photos de Bob Marley partout sur la tombe. Ce sont des gens jeunes ; des adolescents ou des gens qui avaient la quarantaine. Je n’avais jamais remarqué qu’il y en avait autant ; lorsqu’on jette un œil aux annonces de décès dans le journal, on voit surtout des âges avancés. La tombe d’Annie n’a pas encore de pierre, seulement une profusion de fleurs, et aussi quelques uns des petits souvenirs de cimetière où des membres de la famille rendent hommage à la personne décédée et se signalent en même temps aux autres.