Déménagement de Victoria dans son nouvel appartement de fille (typiquement une expression qu’aurait employée Stéphanie). Victoria les cheveux simplement retenus en long catogan bouclé par une pince, hier en pantalon de velours kaki à grosses côtes, aujourd’hui en jean bleu avec un vieux pull, le teint cireux, les yeux plus creusés qu’à l’habitude encore. Mais hier soir Chepe pendait sa crémaillère, et émerger d’à peine quatre heures de sommeil a été bien galère. Tout le monde avait su être à peu près raisonnable, sauf Joris et moi, restés[1] jusqu’à cinq heures en buvant du rouge et du blanc sec (trop sec) — Joris est arrivé d’ailleurs avec une bonne heure de retard ce matin, et des cernes jusqu’au milieu des joues ; lui qui ne boit pas souvent en a été pour ses frais… — mais je ne pense pas qu’il l’ait regretté. Paul, lui, a participé au remplissage du camion, puis il est parti prendre le train pour Paris où il a un entretien demain pour un boulot de prof de vidéo (qu’il a peu de chances de décrocher). C’est Marie-Charlotte et moi qui l’avons emmené, et nous sommes restés sur le quai jusqu’à ce qu’il parte. Je n’avais aucune motivation pour déménager, contrairement à mon usage ; ça me faisait terriblement chier, pas seulement à cause de la fatigue. Un moment j’en ai voulu à Paul de partir avant la fin, mais Bérengère, plus fine que moi, ou plus ouverte à ce qui se passe, m’a fait passer discrètement qu’à son avis il aurait dû carrément ne pas participer du tout. Après tout, lui il aurait bien continué à habiter sous le même toit qu’elle ; et puis ce n’était pas ses affaires qui partaient. Des affaires, il y en avait beaucoup trop d’ailleurs, des meubles à n’en plus finir, à monter par les tortueux escaliers jusqu’au petit appartement. Une fois tous là haut, il restait à peine la place de passer, sans compter les cartons ; à sa place je n’en aurais pas pris la moitié. Dans la pièce généreusement étiquetée « salon », une fois les énormes fauteuils et la table basse posés, il n’y aura plus la place de respirer. Je ne suis pas partisan d’entasser. Du moins des meubles. En plus rien n’a pu être sorti des cartons, parce que ce crétin de propriétaire devait poser les sols hier mais ne l’a pas fait. Résultat il faudra qu’il se débrouille malgré l’encombrement. Ce soir Victoria devra retourner dans l’appartement de la rue des Olivettes, presque vide maintenant, et sans Paul. On est plusieurs à avoir eu la pensée sournoise que ça lui ferait les pieds.
Une fois tout fini, il y a eu la proposition d’aller dans un café, mais Marie-Charlotte n’était pas très chaude, et moi non plus ; je l’ai accompagnée en somnambule chez Ermold en prétendant que je rejoindrai tout le monde ensuite. Et lorsqu’on a quitté Ermold vers sept heures, je lui ai proposé de venir boire un verre chez moi. J’étais heureux d’oser faire cette proposition. J’ai maintenant le plus grand mal à faire venir des gens chez moi (quand Fanny et moi aimions tant recevoir du monde).
Lorsqu’elle et lui sont partis à Lisbonne, elle avait mis la radio dans la voiture, pour ne pas s’endormir. Vient à passer une information selon laquelle des scientifiques ont déterminé que lorsqu’un homme a un enfant avec une femme au moins cinq ans plus jeune que lui, il y a toutes les chances que ce soit une fille[2] . Ermold, qu’elle croyait endormi et qui est bien connu pour refuser de façon véhémente l’idée même d’avoir des enfants, s’écrie alors « MERDE !!! ». Il ne veut pas d’enfants, mais il faudra que ce soit un garçon… Marie-Charlotte me raconte assez fréquemment des choses sur lui, qu’il faut bien sûr que je ne répète à aucun prix. Ce n’est pas triste. Mais mieux vaut ne pas le vivre. Paranoïaque comme ce n’est pas permis, par exemple.
[1]Avec Sylvette, que Joris avait emmenée, et Antoine Doinel.
[2] Je me demande comment on peut raisonnablement dire ce genre de choses — mais ce n’est pas la question.