Mercredi 22 octobre 1997

C’est peut-être pour ça que j’ai fini par sortir avec Sonia, parce que d’habitude je suis trop soumis à leur avis dans mes considérations de ce qu’il faut ou ne faut pas faire. Mais aujourd’hui je me sens très mal, accablé d’une envie de vomir signe indubitable d’un grand malaise psychique, avec juste l’envie de me coucher pour tirer un trait le plus lourd et définitif possible sur la journée (vous avez déjà lu ça, je sais). Il y avait la perspective de donner cet après-midi mon premier cours de la saison en odontologie pour me rendre très nerveux (c’est dingue ce que j’en avais envie) : mais finalement il a été annulé, ou reporté, à cause d’un de ces problèmes d’organisation auxquels je commence à être habitué. Mais tout ça n’est évidemment pas le principal. Il y a Sonia d’abord. Je n’aurais pas dû ; mais on ne peut pas résister indéfiniment, et puis on ne peut pas être sûr avant d’avoir essayé ; enfin c’est ce dont j’ai fini par me convaincre. Dès lundi soir je me demandais déjà comment j’allais pouvoir faire pour la larguer sans tarder et le plus en douceur qu’il serait possible ; je n’arrivais déjà pas à me voir avec elle, l’introduire dans mes cercles, la considérer comme « ma copine ». Pour une sorte de relation privée, baiser etc… pourquoi pas, mais alors sans connexions avec la vie réelle, quelque peu excitante qu’elle soit souvent (elle m’est soudain apparue parée de merveilleuses couleurs…). Or pour elle ce n’est pas ça du tout, elle a dit à son mec que c’était fini, elle veut prendre un appartement seule ; et elle est très demandeuse. Mais je ne l’aime pas. Je ne suis pas amoureux d’elle. Quand je la vois je n’ai pas ces transports irrépressibles qui estampillent à coup sûr ce sentiment ; juste un mélange serré de plaisir et de déplaisir, d’attirance et de rejet violent. Comme me l’a dit Victoria sans forcer l’originalité, « s’il n’y a même pas d’amour au début, ça ne risque pas d’aller loin ». Mardi ça m’a affreusement déprimé : j’ai fait passer ça sur le compte du manque de sommeil, mais c’était gros, même si ce n’est pas pour rien que j’avais mal dormi, réveillé en sueur glaciale au milieu de la nuit sentant un drôle de corps de fille à mes côtés, qui ne dormait guère non plus. Mais c’est agréable d’embrasser une fille qui est mignonne, la serrer dans ses bras, sentir un peu de sa chaleur passer dans mon être froid. C’est un peu plus tard, au moment fatidique de l’introduction que je me suis dit « Arrête, tu fais une connerie », et je me suis mis immédiatement à débander, je n’y pouvais rien, je suis devenu tout mou et j’ai eu envie qu’elle s’en aille, comme je l’avais prévu. Lundi soir elle m’a excité comme un pou, ça a été tellement difficile de la convaincre de se laisser embrasser, et puis ensuite c’était tellement bon, je ne me possédais plus ; mais elle avait ses règles. J’ai eu tellement mal aux couilles qu’une fois qu’elle a été endormie je suis allé me branler dans la salle de bain, et que j’en ai tiré un bon demi-litre ; mais là, plus rien, c’était affreux. J’étais excité, évidemment, à balader mes mains et mes lèvres sur son corps, titiller les lèvres de sa chatte à travers l’entrejambe détendue de sa petite culotte blanche, mais je sentais déjà les réserves sur la suite se matérialiser dans l’intensité retenue de certaines caresses, dans ce mouvement involontaire d’essuyer sur les draps le jus de son sexe qui m’avait coulé sur les doigts[1], je savais déjà que je n’avais pas assez envie. Je n’ai plus vu dès lors que sa taille trop large, un peu grasse, et les petits boutons rouges que j’avais découverts sur ses fesses en lui ôtant sa culotte ; son regard inquiet, craintif de ce que je puisse la rejeter, et sa mise trop peu élégante — toute la distance entre mes désirs et ce qu’elle est, la pauvre… Comme elle me manquait, cette taille mince de petit oiseau qui fait qu’on s’imbrique si bien l’un dans l’autre ! Le jour où Mathieux a expliqué que c’était un critère déterminant pour qu’il soit séduit par une fille, on a tous bien ri, en imaginant ses grands bras velus autour d’une taille délicate ; mais là, comme j’ai pensé qu’il avait raison ! Et l’image de Stéphanie qui ne cessait de me venir à l’esprit… toute la différence entre l’amour et le désir physique mal assumé. On s’est rhabillés, l’un et l’autre penauds de ce qui venait d’arriver, et elle a dit « Je sais bien que tu ne m’aimes pas », cherchant à cacher un tel accent de détresse que je m’en suis voulu à mort de ne pas pouvoir. Je m’étais assis par terre et elle s’est penchée sur moi, retenant son pull contre sa poitrine, et la main dans les cheveux, voulait encore m’embrasser. Lundi soir je me demandais comment la larguer sans attendre, mais là il n’était même plus possible que ça dure une minute de plus, que ce soit autre chose qu’un mauvais rêve à effacer au plus vite. Le son même de sa voix commençait à m’être désagréable ; et elle, elle tardait à s’en aller, elle ne comprenait pas que je ne voulais vraiment pas, que c’était déjà fini. J’aurais préféré ne pas avoir à le lui dire, qu’elle le sente seule, à cause de la culpabilité qui me rongeait, de cette peine qu’il y a à faire du mal aux autres, mais je ne savais pas comment faire sans être trop direct. Et puis le téléphone a sonné, alors qu’elle était sur le seuil de la porte, et c’était son copain. Je me suis senti tomber en glace, j’ai répondu trois mots brefs et ai raccroché. Toute l’horreur de la situation matérialisée d’un coup, toutes les implications que j’avais redoutées me sautant à la figure. Je l’ai poussée dehors presque sans ménagements, et j’ai couru chez Paul et Victoria pour changer d’air, avec la ferme intention de mettre un terme à cette histoire de façon claire avant la fin de la semaine. Je comptais juste passer un peu de temps avec eux, mais je suis finalement resté jusqu’à une heure du matin, dans cette sorte de squat qu’est devenu l’appartement depuis que Victoria a déménagé ses affaires, c’est-à-dire la quasi-totalité de ce qu’il y avait (sans pouvoir cependant emménager dans le nouveau logement, où les sols ne sont toujours pas posés).

Victoria, elle, passe ses journées à lire vautrée sur le lit, un sac de voyage rempli à craquer de vêtements traînant sur le parquet nu, c’est Paul qui s’occupe de tout. Mais il ne sait pas toujours bien y faire ; la seule manière qu’il a de s’imposer face à Victoria dans leurs différends (ou même sans raison apparente) est l’agressivité, qu’il cherche à faire passer pour du second degré. Quelle misère.

[1] Sa culotte était tellement trempée que je me demande comment elle a pu la remettre pour rentrer chez elle ; j’ai eu un peu honte lorsque je m’en suis rendu compte.