Ermold est chiant. Il est trop lunatique. Et tellement paranoïaque qu’il ne sait pas être agréable. Je plains Marie-Charlotte d’avoir à le supporter à longueur de temps (et de l’accepter)[1]. Avec lui, il faut faire des efforts insensés ; comme s’il fallait le reconquérir à chaque fois. Et c’est d’autant plus fatigant qu’il ne donne pas franchement l’impression de prêter attention aux autres malgré ces efforts. Il n’est pas plus capable qu’un autre de maîtriser les événements, sauf que lui s’en aigrit (c’est du moins une des explications, et Victoria est d’accord). C’est sans doute une sorte d’artiste raté, en cela pas très loin d’Adalard qu’il prend un malin plaisir à dégommer sur ce point. Sentant ce manque, ce destin de « petit prof de province » qu’il l’attendrait, il s’enferme dans une aigreur hautaine et pleine d’apparente désinvolture, clame dès qu’il en a l’occasion tout ce qu’il fera bientôt, s’étend en détail sur toutes les idées qu’il a eues et qu’on lui a volées (évidemment ; on ne peut que les lui voler), et déclare son intention de « monter à Paris parce qu’ici il ne se passe vraiment rien ». Il faut qu’il en rajoute contre son impuissance, mais il y a une bonne part d’esbrouffe. Même s’il finit toujours par me donner le sentiment que je dois lui prouver quelque chose, je garde de l’affection pour lui. Je ne veux pas non plus lui tailler des croupières.
Je suis passé chez Victoria, qui a enfin emménagé. Contrairement à mes préventions, l’endroit est agréable ; un appartement d’hiver, selon la juste expression de Joris qui était là aussi. Discuté de choses et d’autres, de la différence entre l’Homme et l’animal, de Gilbert et George (Victoria a vu ce weekend l’exposition au palais de Tôkyô), d’Almodovár. Il y a selon elle une importante figure de la circularité dans le dernier, le cercle étant pour Almodovár le symbole de ce qui est abouti (c’est banal) ; j’étais un peu passé à côté de cet aspect, mais c’est vrai qu’entre les deux scènes jumelles d’accouchement qui encadrent le film, les ronds frénétiques du basketteur en chaise roulante sur le plancher de son appartement, la forme de certains corps imbriqués, le tour de Madrid en bus que fait Victor Plaza un soir de 1990, c’est très organisateur d’un point de vue formel, c’est éclairant.
[1] Ce qui, dit-elle, veut dire aussi parfois (et trop souvent à son goût à elle) qu’il faut supporter qu’il ne veuille pas la voir.