Cette fois-ci c’est Chepe dont j’ai fait profiter de ma carte pour les 3 Con, hier soir. Comme il n’avait jamais vu aucun des films du festival, malgré le nombre d’années qu’il a passées à Nantes, j’ai pensé l’emmener voir quelque chose de très représentatif, et j’ai choisi le film thaïlandais en compétition, Fun Bar Karaoke, dont le titre pouvait en plus laisser présager que ce serait drôle. C’était très bien, mais pas du tout ce à quoi je m’attendais : une production léchée (on a pu s’en douter dès l’apparition sur l’écran du logo très chiadé de la compagnie de production), et très loin du style habituel des films de ces pays-là, qui séduisent souvent, au-delà de leurs défauts, par leur exotisme : au contraire dans la veine du cinéma occidental ou hong-kongais le plus contemporain, très marqué par Tarantino (une scène de tabassage en musique plagiée sur Reservoir Dogs), mais aussi par Lynch ou Wong Kar-wai (les habituelles images arrêtées en fin de plan, où la disjonction son/image). Bangkok ressemblait bien plus à Taipeh ou New York qu’à l’idée qu’on se fait de la capitale d’un pays qui appartient encore au Tiers-Monde, et les intérieurs, à ceux des classes occidentales aisées. C’est une uniformisation peut-être déplorable, liée au capitalisme, mais qui témoigne aussi de la montée en puissance là-bas de classes sociales nouvelles, aux désirs et aux moyens en de nombreux points proches des nôtres. Pen-Ek Ratanaruang, le réalisateur, est d’ailleurs très jeune, d’après les photos, et il ne sort certainement pas d’un quartier pauvre.
L’aspect le plus marquant du film, c’était la grande maîtrise de la mise scène, un indéniable sens visuel, et de nombreuses trouvailles (parfois kitsch ou d’esprit publicitaire) : comme lorsqu’une scène d’amour sur un divan est prise depuis le sol, et ne montre que l’affaissement en rythme des ressorts, ou comme lorsque différentes alternatives sont proposées à la suite sans que le récit ne tranche (le père réussit-il sa cuisine, ou rate-t-il complètement ?). Il est probable que ce film ne sera jamais distribué en France, parce que les gens seraient déroutés par la perspective d’aller voir un film thaïlandais, et pourtant, ça pourrait remporter un succès public, pour peu que les moyens y soient mis. Évidemment, si ces procédés continuent à être utilisés comme je le pense, ce genre de film sera académique d’usure d’ici trois ou quatre ans (Ermold pense même moins), et ne pourra plus être support de la moindre inventivité. Mais pourquoi bouder son plaisir maintenant, tant qu’on n’est pas encore saturé ?
Ensuite à la Maison du Change à discuter trois bonnes heures en tête-à-tête.