Vendredi 16 janvier 98, Nantes

Retour au théâtre hier soir avec Joris, accompagnés par Antoine Doinel, qui remplaçait Sylvette pour l’occasion : elle est partie travailler quelques mois dans une compagnie de théâtre de marionnettes à Marseille (enfin on dit « théâtre d’objets » maintenant, ça fait mieux), et lui a vendu sa place. L’Île du Salut, mise en scène par Matthias Langhof — une adaptation de Kafka (La Colonie pénitentiaire), écrivain qui occupe beaucoup les esprits, mais que je connais mal au-delà des clichés qui lui sont associés. C’est pour Langhof d’abord que nous l’avons choisie : un metteur en scène important. Il se caractérise par l’ampleur et le foisonnement de ses décors, à la fois expressionnistes et très réalistes (il paraît que pour Philoctète d’Heiner Müller, qu’il a monté aussi au TNB, la scène était recouverte d’un abondant champ de vraie terre, labourée par un vrai cheval). Cette fois-ci, une sorte d’échafaudage de bois, supportant une bruyante machine, s’élève en pyramide jusqu’aux cintres, et les comédiens ne cessent d’y grimper en l’agitant en tout sens ; il y a un côté bande dessinée dans ce style, mais il invite aussi au rêve enfantin — que Joris aime n’est pas étonnant, il a toujours été passionné par toutes les machineries, et en a construit beaucoup gamin, avec ses moyens. Texte en revanche oppressant ; mais j’ai pris la représentation comme un spectacle, sans vouloir réfléchir de manière active aux implications intellectuelles (contrairement au film mercredi soir).

Un trait du théâtre d’aujourd’hui : la constance avec laquelle sont employés des acteurs étrangers, qui parlent le français avec un accent. Trois fois sur trois pièces que j’ai vues pour le moment cette saison. Là, un Italien. Très bon (après les premières minutes où son jeu théâtral m’a gêné : le rôle le justifie ensuite), tenant le premier rôle, celui d’un officier frénétique, obsédé par la machine à torturer et juger dont il a la responsabilité.

Fin de la soirée à l’appartement d’Antoine, à nouveau, où Père est venu accompagné de Marie-Anne, une généreuse bouteille d’un litre de Lagavulin à la main, rapportée de son récent voyage à Londres (le tournage d’un documentaire sur Chateaubriand). Quelques lourds aussi malheureusement pour gâcher la soirée, c’est inévitable de ce côté-là – leurs copains ne sont pas tous bien terribles. Repris la voiture pour Nantes vers quatre heures du matin, ramenant la pétulante Audrey et Baptiste, qui n’est plus maintenant que l’ex-copain de Madeleine. Je ne connais pas le détail de la fin de leur histoire, mais ils se sont séparés. Mady, qu’on est passé voir Joris et moi chez elle en début de soirée, et qui n’a pas trop le moral. Un schéma qui se répète. Je commençais à apprécier Baptiste ; de ce point de vue, c’est dommage. Dans la voiture, je riais tout seul, pour rien, tellement j’avais fumé d’herbe avant de partir (ça me fait rarement cet effet-là). C’est Joris qui conduisait, heureusement.