Vu Funny games avec solo Paul[1], Ermold et Marie-Charlotte au Katorza. J’avais initialement prévu d’y aller mardi, mais je n’ai pas pu m’y résoudre : on a tellement dit que c’était d’une violence insoutenable que j’ai reculé. Mais des gorges chaudes qu’on en a fait à Cannes, puis dans la presse (les gens sortaient de la salle outrés, clamant qu’ils n’avaient jamais vu un film aussi odieux, etc.), il ne restera pas grand-chose dans dix ans. C’est éprouvant, en effet, mais à tout prendre, moins que Shining ou d’autres films du genre (j’en ai vu peu, je n’aime pas avoir peur) : Hanecke met constamment le spectateur à distance, et la violence est toujours hors-champ. Peut-être que de m’attendre à un film difficile à supporter a fait aussi que j’ai tout fait pour ne pas trop y entrer. J’avais même pris mon écharpe sur mes genoux, au cas où il faudrait vraiment se cacher les yeux — du moins avoir quelque chose à triturer pour évacuer la tension.
Mis à part les effets de distanciation lorsque celui des deux meurtriers qui est le meneur s’adresse à la caméra, interroge le spectateur, c’est un bon thriller[2], construit et filmé avec efficacité. Mais pas plus. J’y ai pris un certain plaisir, plutôt inoffensif au final. Ce qui le rend particulièrement intense, c’est que tout est centré sur l’acte violent et ses conséquences sur les victimes, évacuant toute fioriture ou à-côté, ainsi que toute explication psychologique : deux jeunes gens bien vêtus, polis et portant gants blancs s’introduisent dans une famille qui vient d’arriver dans sa maison de vacances au bord d’un lac, la séquestrent, torturent et tuent méthodiquement sans se départir de leurs bonnes manières. On se rend compte peu à peu qu’il ont éliminé de la même manière une autre famille quelques heures plus tôt, et la fin les laisse sur le point de recommencer, avec une stratégie identique : l’un des deux, qui se prétend mandaté par ceux mêmes qu’ils ont juste assassinés, vient demander qu’on prête quelques œufs. La première fois, ça donne lieu à des scènes très réussies, avec notamment un plan-séquence fascinant. Ce qui a pu rebuter est que cette violence est gratuite, sans aucune raison (il y a d’évidentes relations avec Orange mécanique — les gants blancs portés par les deux garçons en sont d’ailleurs un signe — et Ermold a trouvé que ce n’en était qu’un résidu médiocre), mais je ne vois vraiment pas où est le problème.
Là où il y en a un en revanche, c’est que je ne vois pas où veut en venir Hanecke. J’ai lu plusieurs interviews qu’il a donné : son propos sur la violence (contre plutôt) m’avait paru fumeux ; le film ne m’a pas plus avancé. S’il prétend montrer que la violence au cinéma n’est que de l’image et pas de la réalité (par les divers effets de distanciation par exemple), ça ne va pas bien loin : de la manipulation sans grand intérêt, une sorte de coucou ! caché ! pour adultes. Mais le refus de toute explication rassurante ne semble pas aller dans ce sens (enfin, il y en a, mais d’ordre seulement forPère). S’il cherche à dénoncer le goût pour la violence à l’écran, en dévoilant son vrai visage (horrible), le fait de ne jamais la montrer amoindrit la portée de son propos. Et quel rapport avec sa dénonciation de la trop grande virtualisation, en Occident, de tous les aspects déplaisants de l’existence ? Bref (je pourrais continuer longtemps), je ne comprends pas bien — si ce n’est que la lente mais sûre prise de pouvoir des deux jeunes gens sur les victimes (qui commencent par les laisser entrer) est une métaphore convaincante de la marche destructrice implacable du fascisme par exemple. Du point de vue théorique, c’est un film qui pose des questions intéressantes (on n’a pas fini d’en parler), est en un certain sens marquant mais qui n’en est pas moins raté, à mes yeux.
[1] Mardi soir lorsque j’ai décroché le récepteur du téléphone et qu’il m’a appelé d’entrée Manufrance multi France, le solo Paul est sorti tout seul derrière. J’ai regretté aussitôt.
[2] Je crois que c’est ainsi qu’on dit ; c’est une formule qui ne correspond pas trop à mon vocabulaire.
À nouveau sorti ce soir : pour aller voir à l’Olympic une projection de films de Pierrick Sorin, précédée d’un concert de Pierre Bastien (un trompettiste qui a joué notamment avec Pascal Comelade). Un concert un peu particulier : d’abord parce que Bastien joue seul, accompagné de petites machines rythmiques qu’il a construites lui-même à partir de Mécano et de vieux objets comme des ciseaux et des brosses à dents (une super idée), ensuite parce qu’il était filmé et reprojeté en direct sur écran par Sorin, qui en mixait les images avec de ses courtes scénettes en boucle préalablement réalisées. La musique m’a plu. Je demeure plutôt habitué à l’électricité, alors voir ce type tout seul improviser avec sa trompette bouchée et ses tic-tac bizarres m’a déstabilisé au départ (surtout que j’étais debout, pas la meilleure position pour cette musique), mais je me suis laissé aller sans difficulté. Ses petites mélodies mélancoliques sont de celles qui me trottent souvent dans la tête. Mais une simplicité que je serais justement bien incapable d’avoir ! Si je composais j’en ferais forcément des caisses. Il a également joué, sur un morceau, d’un instrument à lamelles de métal aux sonorités distordues proches de celles de la musique africaine : j’adorerais avoir le même.
Plusieurs fois dans les images de Sorin on a vu Karine, sa nouvelle copine. C’est la première fois que je voyais quelqu’un d’autre que lui dans ce qu’il fait. Un signe qu’il doit être amoureux (on le sent, de toute façon). Marie-Charlotte m’a dit à l’entracte qu’avec son cœur de midinette, ça l’avait émue. Moi pareil. Évidemment, on s’éloigne d’un commentaire sur les vidéos… Pour la seconde partie, il avait choisi de montrer des travaux remontant à une dizaine d’années surtout (mais on a pu revoir la géniale série des Pierrick et Jean Loup, avec les inépuisables « Alors j’en ai profité pour le calmer un peu » et autres moments d’anthologie). Des travaux qui montrent que la plupart de ses thèmes, le sexe, l’autofilmage et la dérision – dans Une bonne leçon, le fameux « Je vais t’apprendre, moi, à te filmer tout seul ! » –, la parodie étaient présents dès l’origine. Mais l’étaient aussi alors des choses qu’on n’a plus revu ensuite, comme l’animation. Comme l’a dit Joris avec justesse, après avoir vu ce que fait Sorin, toutes les idées qu’on peut avoir paraissent prétentieuses.