Lundi 13 avril

Aujourd’hui c’est le lundi de Pâques. Comme d’habitude, ça m’était sorti de la tête ; je m’apprêtais à aller faire des courses à Hyper U, puis à rentrer en bus (comme on est rentrés à deux heures passées cette nuit de Brest, j’ai dormi au Pont) : sauf qu’il n’y en avait pas. Il a fallu que Joris me rappelle tout ça. Il m’a déposé au tram vers seize heures. C’était un bon weekend, même si ça a plus été une occasion de consolider les liens, ou d’éprouver leur tranquille solidité, ce qui revient au même, que d’en jouir vraiment. J’appréhendais surtout d’être seul avec Greg, ce qui n’était presque jamais arrivé avant. Je pense m’être comporté comme il faut ; lui, il n’est pas dans le meilleur état d’esprit possible, même s’il pense qu’avec Bérengère ce n’est « pas forcément fini ». On en a un peu parlé dans la voiture à l’aller ; comme il l’avoue lui-même, il se livre peu — pas comme moi. J’avais apporté la cassette des remixes de Millions Now Living Will Never Die, le second album de Tortoise pour parer à l’éventualité d’une ambiance pesante, mais il a fallu se battre tout le voyage avec l’autoradio, très capricieux depuis que sa voiture a été fracturée l’an dernier en bas de chez Paul et Victoria.

Les producteurs de choux fleurs du Léon sont en colère à cause de la baisse des cours, et ils ont provoqué pas mal de dégâts, rendant plus ou moins inutilisables les lignes de chemins de fer en direction de Brest, mais on n’en aura eu guère d’échos — mis à part, peut-être, le fait que la route était assez encombrée samedi. En revanche, un temps pourri les deux jours, des alternances d’averses de pluie et de grêle, un vent du nord aussi violent que glacial, et même de la neige dimanche vers midi, ce qui ne doit pas être fréquent même au cœur de l’hiver ; de la neige un peu fondue, mais qui restait quand même dans les encoignures de toits, dans les villages isolés de l’autre rive de l’Élorn (une campagne toujours aussi dure, allant de vallées en vallées plus encaissées). Samedi à la pointe Saint-Mathieu on a bien essayé de se promener un peu, mais il faisait tellement froid que c’en était intenable. Heureusement que Claire commence à fatiguer au bout d’une heure : un bon prétexte pour ne pas s’entêter. Enfin pour une fois, je ne me serais pas trop vu rester à glander dans l’appartement toute la journée.

Elle a même ressenti des contractions pour la première fois. Greg et moi aurions bien aimé (enfin du moins n’a-t-on cessé de le clamer) que son accouchement se passe pendant qu’on était là, mais c’était loin des contractions régulières de cinq minutes en cinq minutes qui annoncent que le moment est venu apparemment — le terme n’est pas prévu avant fin avril, ça laisse un peu de marge, surtout vue sa santé éclatante (mais connaît-elle autre chose que la santé éclatante ?). Xavier n’aurait d’ailleurs pas aimé que ça se produise en notre présence, on peut le comprendre. La naissance l’inquiète, ou l’angoisse, tellement, qu’il commençait à ne pas pouvoir dissimuler sa nervosité. Plus que de ne savoir quoi faire, c’est ce passage absolu que ça va représenter pour lui — c’est courant, il paraît. Dans quel monde cela va-t-il le faire passer ? Ces derniers temps, il a vieilli physiquement ; il a grossi, il perd ses cheveux de façon visible, et les avait trop longs dans le cou. J’étais heureux de le voir écouter encore pas mal de rock, s’y intéresser. Je ne sais pas trop dans quelle mesure il a changé en général par rapport à moi ; il s’est installé dans une certaine routine de couple, d’existence (peut-être le réfuterait-il — et ne suis-je pas moi-même dans une routine qui vaut bien celle-là ?). Mais ses envies sont beaucoup plus courageuses que les miennes. Je crois que nous gardons de nombreux points communs qui ne devraient pas disparaître avec le temps ; une sorte de distance quasi-dialectique s’est installée, qui ne devrait plus beaucoup bouger (distant : pas au sens où on l’est avec quelqu’un).

Maintenant, je lis Extension du domaine de la lutte de Michel Houellebecq, que j’ai pris dans la bibliothèque de Mady ; un roman dont on a beaucoup parlé au moment de sa sortie (au moins dans les Inrockuptibles) — si je lis des nouveautés, ce n’est jamais qu’avec retard. Un très bon livre, réjouissant et cruel, qui m’a l’air de virer sur la fin à une noirceur sans recul qui risque de le rendre difficile à digérer : en ce moment, c’est plus ce à quoi ressemble la première partie du livre que j’ai envie de lire (envie, ou plutôt besoin).