Samedi x avril

Donc, plus de 24h que je n’ai vu strictement personne ; mais on ne peut pas dire que je sache mettre à profit cette solitude — qui n’en serait alors d’ailleurs pas une. J’ai besoin de perspectives : savoir qu’il y a quelque chose d’intéressant le soir[1] motive pour que la journée ne soit pas vide elle non plus. Tout à l’heure je sortirai, j’irai au Saguaro voir s’il n’y a pas des gens. S’il n’y a personne le retour à pied jusque chez moi sera horrible, à moins que j’aie assez de force pour conjurer la déception aiguë (un des moyens est peut-être de n’attendre pas grand-chose, c’est-à-dire d’envisager l’échec non comme un échec par rapport au programme, justement, mais comme une des possibilités parmi d’autres de ce qui peut advenir. Encore faut-il que je ne déprime pas trop en attendant le moment de sortir). J’ai eu Ermold au téléphone : le temps de tourner dans la nuit est bien terminé. C’était usant, mais qu’il n’y ait plus la possibilité de le refuser est tout de même déprimant.

Il paraît que j’ai encore dit quelque chose que je ne devais pas dire (sans doute à Broerec jeudi soir, mais je n’arrive plus à me souvenir, et Ermold n’a bien sûr pas voulu me dire à qui), à savoir ce sur quoi il travaillait avec Sorin la semaine dernière, que je n’ai su d’ailleurs que par déduction. Quelle fatigue de toujours devoir garder des secrets qui à mes yeux n’en sont pas du tout. Ces continuelles manœuvres semblent un moyen pour Ermold de se donner l’illusion qu’il exerce une sorte de pouvoir sur les gens (qui lui donne le droit de les condamner s’ils s’écartent du chemin et deviennent des balances). Singulièrement sur moi, qui ait trop prêté le flanc au début.

[1] C’est le soir que cette solitude est la plus pesante. C’est aussi pourquoi l’été peut être dur, de longues plages de temps où il n’y a rien que soi. Été, mois de mortes eaux — ou de mortes bières.