Dans le bus (grande douceur du « petit matin »), une fille très belle à la peau noire, qui portait à la bordure de la paupière un trait de maquillage d’un bleu clair et brillant ; une sorte de double regard magique. Mon désir d’amour est maintenant tellement fort qu’il en devient palpable, à la fois en moi, et autre moi-même à mes côtés comme un double.
Hier, en début de soirée, vers Rennes pour voir en première projection un film d’animation, suivi d’un documentaire sur le making of réalisé par Père. J’ai pris Joris à la sortie de son travail, et on a tracé dans une chaleur étouffante, pour arriver juste avant que la projection ne commence. Il y avait ensuite une fête, un peu plus loin dans la campagne, où on devait aller, mais au dernier moment, Joris s’est déclaré trop fatigué et a voulu rentrer. Je lui en ai voulu (et c’est bien son genre de changer d’avis au dernier moment sans tenir compte des autres), mais je ne pouvais pas non plus attendre aujourd’hui pour revenir avec Paul, j’ai dû rentrer moi aussi. Enfin ça avait l’air un peu private, avec tous ces gens qui font leurs affaires dans les milieux du (petit) cinéma et de la vidéo : je me serais sans doute ennuyé.
Sur son invitation, sorti boire un verre avec l’étrange Chepe en début de soirée (après une journée de travail bien médiocre de toute façon). Il fait encore si chaud que de rentrer à pied, alors qu’il était déjà onze heures, m’a mis en nage. Un moment rejoint par Joris et Loïc par hasard, avec qui la discussion a tourné autour du théâtre, du cinéma, de la littérature ; l’an dernier, Chepe avait commencé de traduire Baise-moi de Virginie Despentes, mais il n’avait pas eu de retour des éditeurs contactés, et une traduction vient juste de sortir en Espagne, il s’était fait doubler[1]. On lui a suggéré d’autres trucs, Marie Darieussecq (mais c’est déjà fait, et son premier roman a fait un beau succès là-bas aussi), Lorette Nobécourt, Lydie Salvayre : quelques jeunes auteurs dont on parle ici — et que je n’ai pas lus. Il a également envoyé une traduction de poèmes de Max Jacob, et attend la réponse. Autrement, il glandouille pas mal, dans les nombreux interstices que laisse son emploi de lecteur à la fac.
C’est quelqu’un qui se livre peu ; la grande diversité des sujets qu’on aborde ensemble, supérieure à la moyenne de mes relations, n’inclut que rarement des considérations vraiment personnelles. Ce soir, ont filtré quelques éléments de sa vie de célibataire, laissant entendre qu’il n’avait notamment jamais vécu en couple ; et quoique qu’il n’ait nulle vocation à « habiller les saints », selon sa propre expression, il fait une figure tout à fait honnête de célibataire, ouvert, avec de nombreux amis et connaissances.
Pour mon anniversaire, Adeline et Fred m’ont offert un recueil de nouvelles d’un écrivain hongrois des années 70 (ils doivent savoir mon goût pour ce qui vient de ce pays) : Péter Hajnóczy. Un grand alcoolique. Je n’ai été que modérément séduit par ces petites histoires s’attachant aux instants d’hésitation qui nous habitent, aux tergiversations sur la conduite à tenir ou aux secondes où l’action est suspendue. À le dire ainsi, c’est un programme alléchant, mais le traitement est plat — le genre de choses que je n’oserais pas écrire par crainte de faire trop peu. Je comprends que ce qui m’attire, ce sont finalement les textes plus construits (et, contre toute attente, mes productions et mes projets prennent une nette tournure fantastique). À moins d’être Brautigan, pour tirer toute la sève de la moindre chiure de mouche de nos existences. Mais n’est pas Brautigan qui veut[2].
[1] J’ai commencé son second roman, l’un des bouquins que m’ont offerts les parents ; ça se lit bien, vite, mais ce ne me semble pas être un chef d’œuvre. C’est très marqué par le polar récent, le ton proche des protagonistes. Mais à part le récit, il n’y a rien. Ce n’est pas une littérature qui risque de beaucoup m’apporter (et c’est ce que j’attends d’un livre : qu’il me change). Extension du domaine de la lutte est très supérieur. Sans commune mesure.
[2] Je pense là à Raymond Carver, qui ne m’avait pas estomaqué, malgré les éloges que j’en avais lu. En un sens, c’était peut-être trop conceptuel pour moi. Je n’avais pas compris le choix de ces petites tranches de vie suspendues.