Mercredi 20 mai 1998, Nantes

Journée à Rennes avec Ermold à un festival de vidéo — belle journée ensoleillée. J’étais heureux qu’il pense à moi pour ça, et on a ainsi pu échanger longuement dans un autre contexte que celui des cafés ; je l’ai vu beaucoup moins fanfaron qu’il peut l’être, dans son humaine faiblesse : il n’en est que plus accessible et agréable. Et pas bien différent de moi, quoiqu’encore plus râleur.

Festival pas très bien organisé (pas de programme détaillé, aucun sous-titrage pour des films en anglais qui n’arrêtent pas de parler, saucissonnage, projection en salle de ce qu’il aurait mieux valu diffuser sur des moniteurs en boucle), mais dans le joli théâtre de la Parcheminerie, en plein centre. Du bon (Greenaway, sur l’Enfer de Dante) et du minable : des vidéos qui, à force de sérieux, de componction et de pédantisme, en auraient été drôles si elles n’avaient pas été chiantes à mourir — notamment une à Zanzibar, par un couple d’artistes-philosophes (!?) flamands : incroyable tellement c’était nul. Fait dans un autre esprit, ça aurait pu être le chef d’œuvre du second degré. Beaucoup aimé une au minimalisme poussé, sur quelques musiciens gravement alcooliques dans les montagnes de l’Équateur. En quelques plans fixes, avec une colline incroyablement poussiéreuse pour seul décor, et un fil à linge, tout était dit sur la condition humaine — et pas sur le seul contexte de misère qu’il prenait pour thème. À la fois réaliste, poétique, et touchant au fantastique ; pour le coup, une sacrée réussite ; qui m’a fait penser aux nouvelles de Juan Rulfo. Chose qui me gêne souvent : la manie de recycler l’archive, à mon avis trop tournée vers le passé. D’après Ermold, c’est un signe de fin de siècle : il me cite l’exemple d’À rebours pour le XIXe.

À la suite d’une performance DJ-VJ en début de soirée, songé à la possibilité d’utiliser le sampling en littérature ; pas forcément à la manière de Brion Gysin, ni comme j’ai pu l’employer déjà en mélangeant au hasard des phrases tirées de livres : mais dans le cadre de performances ; les participants ont à leur disposition différents textes qu’ils doivent réutiliser, mais comme ils le veulent, et dans les conditions qu’ils veulent. Le lendemain, on édite leurs productions pour les distribuer au public. Le problème étant, par rapport à la musique, à la vidéo ou à la peinture, le caractère différé de la réception, ainsi que le fait qu’elle s’adresse à chaque individu en particulier ; pas (ou peu) de communauté.

Ferni n’a pas été qualifié par le CNU, Ermold me l’apprend cet après-midi[1] ; il en est, paraît-il, au trente-sixième dessous. Il y a de quoi. Il comptait évidemment là-dessus pour la suite (un poste quelque part). Quand on sait la valeur de son travail, on se dit que ceux qui  ont des responsabilités dans l’université sont parfois des connards. Un jour ils seront balayés. Ça signifie que pour moi aussi, si je finis cette fichue thèse un jour, les chances ne seront pas si bonnes que ça.

[1] Lui l’est, mais en littérature et en communication : pas en cinéma. Ce qui pose problème quand on sait qu’il a remporté le prix de la thèse de l’année sur le cinéma. La façon dont ça fonctionne est vraiment bizarre.