Vendredi 29 mai 1998, Nantes

Hier soir, Les Brigands de Schiller au TNB avec Joris et Sylvette, la dernière pièce de notre abonnement cette saison — intéressante. Terminé la soirée chez Père à manger du fromage. Moment agréable, même si j’étais malade à crever, et que Marie-Anne, en Madame je-sais-tout, m’a fatigué. J’ai dû attraper froid dimanche au tournage, ou en début de semaine, et je suis à ramasser à la petite cuillère. J’en ai même passé presque toute la journée à dormir. Il faut dire que le manque de motivation n’a pas aidé ; après le tournage, grand moment, le retour au train-train quotidien n’a rien de réjouissant — et comme hier, je n’ai encore pas réussi à voir mon directeur à la fac (je suis pourtant venu en stop exprès[1] ; il va falloir finir par se poser des questions sur cette accumulation de « malchances »), je me sens un peu abandonné : à quoi bon y mettre du sien, si ça ne doit mener à rien (là je pense à Ferni) et si ça n’intéresse personne – pas même mon prétendu « directeur de recherches » ?

Je le pensais déjà, mais rester seul à travailler toute la journée ne me vaut rien (surtout si c’est pour des clopinettes évidemment). L’effervescence du projet commun — même si je n’y tenais qu’un rôle bien subalterne —, du contact de gens qu’on estime, c’est autrement plus enthousiasmant. Je me suis trompé de chemin. Je n’ai pas de passion pour ce que je fais, et la perspective — de plus en plus chimérique — d’entrer dans le cercle des profs de fac m’atterre plus qu’autre chose. Faut-il porter sa croix jusqu’au bout, au moins pour voir ? Est-ce au contraire obstination sans raison ? Je me suis laissé porter par le désir de respectabilité, par la peur de me lancer dans l’inconnu : mais maintenant que même cette voie que j’ai prise se met à ressembler à la même chose, ça n’a plus de sens.

Sauf que la carrière d’écrivain à laquelle je rêve en filigrane s’accommode mal, il faut en convenir, d’un refus de la solitude. Mon désir d’écrire, c’est peut-être surtout un désir des autres, de leur reconnaissance.

[1] Réutilisé pour ça une vieille pancarte qui date de l’époque où Stéphanie habitait un studio en face des halles à Rennes (je me demande même si elle n’est pas de sa main). Elle traîne sous divers meubles depuis des années sans que je me sois jamais résolu à la jeter.