Dimanche 7 juin 1998, Nantes

Journée inexistante, passée en entier à dormir et regarder la télévision ; j’ai du retard dans ce que j’écris pour ma thèse, je n’ai encore qu’une page de mon petit texte sur le tournage de Joris, mais je n’ai rien fait. Incapable du moindre mouvement. Rentré après cinq heures de Pornichet, où s’est déroulée la soirée du mariage (dans un restaurant sur la plage), j’ai dû passer le volant à Madeleine au bout de trente kilomètres, tant je ne parvenais plus à lutter contre le sommeil. Vers huit heures, j’ai couru aux toilettes pour vomir une bile acide qui m’a détruit les amygdales pour trois jours ; entre les choux à la crème, les mélanges d’alcool et les cigares, ça faisait trop de saloperies ingurgitées pour mon organisme. Ce n’était pas un mariage désagréable loin de là, mais je n’y ai pas trouvé mon compte, comme toujours ; à part les banalités obligées de tout rassemblement de ce genre, j’ai parlé à quelques cousins, cousines ou oncles et tantes (avec lesquels je n’ai pas forcément une grande intimité), et pour ainsi dire pas aux autres gens jeunes présents — guère de contacts, et je ne crois pas que ce soit spécialement lié à moi. Enfin j’ai surtout été avec mon frère et ma sœur, la bande à part. Je regrette de m’être étendu avec Madeleine sur mon attirance chimérique pour Audrey (qu’elle connaît). Tout ça c’est dû à l’alcool. Comme lorsque je me suis emporté vulgairement en parlant de politique avec une cousine ; quelles que soient mes opinions, ça ne valait vraiment pas la peine d’en faire autant, vues la circonstance et l’interlocutrice. C’est le problème d’être avec des gens avec qui on ne partage pas assez de codes. Je vais encore passer pour un con, le vilain petit canard. J’en suis mortifié. La cousine m’indiffère, mais il est inutile qu’elle ait de moi une piètre opinion. Je n’ai rien contre la famille, et dans la nôtre ça ne se passe pas trop mal, mais à quelques exceptions près (au nombre desquelles — malheureusement ou pas — je ne compte pas la mariée et ses frères, auxquels je n’ai plus rien à dire), ça ne dépasse jamais le niveau superficiel des convenances : et tout ça m’ennuie profondément. Je préfère mes amis, c’est avec eux que j’ai partagé des choses, que je continue à le faire, que je me sens au milieu d’un groupe. Ce n’est pas pour rien qu’il m’arrive d’en parler en termes familiaux. Si la famille symbolise les liens les plus profonds, moi, c’est uniquement là que je la vois (le problème vient aussi de ce qu’on étend ce qui ne concerne en propre que la famille au sens étroit : cette profondeur, je la ressens aussi avec ma famille la plus directe, mais, en soi, plus avec sa forme élargie). Je tiens à préciser tout de même que c’était un beau mariage, souvent drôle sans être lourd.