Grosse cuite dans les bars hier soir (qui fermaient à trois heures au lieu de deux à cause du match à la Beaujoire — mais petite soirée pour ce qui est de l’ambiance). Je suis fa-ti-gué, pas envie d’écrire, c’est juste le sentiment vague et pressant à la fois d’une sorte de nécessité qui m’y pousse. Garder le fil en quelque sorte. Grosse cuite, alors que j’étais seulement parti pour boire quelques verres tranquille en discutant avec Broerec ; c’est que sont apparus sur le tard Adalard et le noir Ermold, complètement cuits l’un et l’autre, qu’on aurait pu dire compères en goguette si le second n’était aussi déprimé. De nouvelles complications à propos du poste. Comme il le dit, en grand paranoïaque, « on ne me laissera donc jamais tranquille ; maintenant je le sais, c’est fini ». À moitié affalé sur la banquette du Saguaro, il était si saoul qu’il riait pour un rien, sourire allumé et l’œil rond et égrillard, par moments ne parvenait plus à articuler correctement. Longs propos désordonnés et machistes sur les filles, sur celles « qu’on aimerait bien se faire » : quelle horreur cette expression, quand on y pense… Je participais comme un autre, mais avec moins d’arguments peut-être, moins de faits d’arme (ou de capacité à m’en inventer), et tout en me rendant compte de la parfaite nullité de la moindre de nos paroles, la déprime la plus noire commença moi aussi à m’envahir — ce matin au réveil, ça a été le pire, je me suis rendu (en retard) chez le docteur Moreau dans un état de défaitisme lamentable (comme je souhaiterais que la vie soit facile !). Ce qui m’ennuie également, c’est que j’ai fini par un peu trop dévoiler mon désir chimérique pour cette pauvre Audrey, objet d’ailleurs de tous les sarcasmes de leur part : salope, crétine, gourgandine, tue-l’amour et j’en passe. À force de blabla sans actes derrière, ma réputation lamentable de ce point de vue ne risque pas de s’améliorer.
Puis ce midi, coup de téléphone de Marie-Charlotte, qui venait d’avoir Ermold… et de lui raccrocher au nez. La pauvre était un peu désespérée par l’éternel cocktail d’égoïsme et de lamentations qu’il lui sert depuis trop longtemps. À cause de son caractère très volontariste, elle a peut-être du mal à comprendre les difficultés psychologiques (inavouées) avec lesquelles il se débat, mais c’est vrai en revanche qu’il s’y complaît jusqu’à en devenir invivable. Jamais je n’avais connu avec elle d’aussi longs silences au téléphone, à tel point que j’ai plusieurs fois cru qu’elle n’était plus à l’autre bout, et que la première je n’ai pu m’empêcher de meubler — j’en ai seulement ensuite compris le prix. Elle se rend compte maintenant trop clairement qu’elle ne parviendra pas à le faire changer (qui le pourra ? Sans doute personne — moi-même tout à l’heure, j’ai essayé de le pousser aux fesses[1]). Qu’il l’utilise, se joue d’elle et se conduit comme un enfant de cinq ans. Elle n’a que de la souffrance à en retirer. Est-elle prête à partir, je ne le sais pas encore, mais c’est une perspective qui se dessine. Il faut qu’elle soit bien sûre d’elle, que ce ne soit pas juste un signal d’alerte pour le faire revenir : parce qu’il ne reviendra pas. Mais à voir comment il parlait d’elle hier soir, comment il esquissait déjà des plans (encore lointains) pour aller voir ailleurs (ce dont seules ces pages gardent le souvenir sans fard), elle a peut-être intérêt à réfléchir à ça de façon concrète. Mieux vaut quitter avant d’être quitté. Et l’être est une éventualité qu’Ermold envisage si peu que ça lui ferait un sacré choc — qui ne serait malheureusement pas salutaire, du moins je ne le pense pas. Comment fait-il pour hypnotiser les filles à ce point quand on voit le caractère qu’il a ?
Décidé à six heures avec Mathieux d’aller aux Herbiers (Vendée profonde) voir le concert que Loïc y donnait, de même que deux autres groupes. La salle, immense comme souvent dans une province balzacienne, est restée désespérément vide, et la « tête d’affiche », Spring, groupe parisien un peu connu apparemment, a joué une pop sans relief et pour tout dire assez médiocre. Ils ont l’avantage d’être managés par Christophe Basterra, copain de leur jolie crevette de chanteuse mais surtout un des membres les plus importants de la revue Magic. Ramené sur Nantes le bassiste et sa copine, et au cours de la conversation, découvert ces coïncidences incroyables que non seulement il est originaire de Redon comme Mathieux, et a des connaissances en commun avec lui mais encore qu’il est le frère du rédacteur en chef de Magic, donc le cousin de Fabien Jauffret, qui fut, entre collège et lycée, un de mes grands copains. Évidemment, il se rappelait en outre de La Musique et de Space Modulator Overdrive. Je n’arrive pas à croire comme le monde peut être petit.
[1] Méthode Coué pour moi-même ; depuis quelques temps je suis un très bon conseil pour que les gens autour de moi se bougent le cul. Pour me convaincre de le faire moi-même, mais cette seconde étape est loin d’être gagnée (grosse rechute aujourd’hui du reste, comme je l’ai dit).