Florence Rey a été condamnée à vingt ans de réclusion. Ça m’attriste — hier soir pourtant j’ai cru que c’était trente : la peine prononcée suit plutôt les demandes de Me Henri Leclerc, son avocat. Il avait plaidé pour une peine humaine. Mais qu’est-ce que ça veut dire ? Est-ce humain de passer vingt ans de sa vie en prison ? D’autant plus que d’avoir été reconnue co-auteur du meurtre d’un des flics lui enlève à peu près toute possibilité de bénéficier de remises de peine, si j’ai bien compris (autrement, les remises font qu’on peut ne purger que les 2/3 de la peine voire un peu moins, je crois). Punir, il le faut sans doute ; et dans certains cas on n’a pu trouver autre chose que l’enfermement ; pour éviter la récidive en particulier (des malades sexuels par exemple). Mais cela peut-il être dit juste ? Cela en donne socialement l’illusion, avec le décorum et le cérémonial de la Justice. Aucune, j’imagine, ne peut réparer la perte de ceux qui ont été tués. Mais celle-là peut briser une vie qui doit s’être déjà pas mal brisée toute seule. La peine qu’on s’inflige à soi-même, le poids avec lequel on doit continuer de vivre lorsqu’on a commis un crime, on est seul à le savoir. Et la prison ne se substitue pas à cette peine ; d’avoir été condamné par la société ne décharge pas de sa propre condamnation (on dirait presque damnation, qui impliquerait la possibilité du rachat : et face à cette idée, celle de payer en années de sa vie paraît en décalage). Qui plus est, la justice telle qu’elle est conçue suppose la continuité totale de la personne. Or celle qui va payer est-elle celle qui est partie dans cette folle équipée il y a quatre ans ? Même si on continue à ne pas pouvoir expliquer clairement la raison de son acte, et sans doute justement pour cela, son histoire pourrait surtout faire qu’on s’interroge sur la ténuité de la frontière entre la « normalité » et la « déviance » criminelle. Expliquer en détail ce qui a pu se passer dans ce genre d’affaire est peut-être trop une manière de nous dédouaner. Il semble en tout cas que l’hypothèse d’une participation d’Audry Maupin et elle à des groupuscules d’extrême-gauche révolutionnaires organisés soit douteuse. Elle n’a pas franchement ma préférence mais est défendue mordicus par les tendances paranoïaques d’Ermold le Noir, qui en jouissent et les approuvent. Elle est peut-être rocambolesque ; mais cette thèse sempiternelle des complots occultes me semble une facilité. Évidemment je n’en sais rien. Cela laisse intacte toute l’intrigante valeur de cette histoire.
J’aime la justesse expéditive de ces mots d’Horace Walpole, dans une lettre de 1762:
« Chaque époque a quelque système prétentieux pour excuser les ravages qu’elle commet. L’esprit de conquête, l’honneur, la chevalerie, la religion, l’équilibre des puissances, le commerce, peu importe le principe, l’humanité doit saigner et se contenter d’un mot en guise de raison. »
Il a fallu que je téléphone à la fac à propos de la dérogation pour mon inscription – j’ai déjà épuisé les trois années « normalement » suffisantes pour venir à bout d’une thèse de doctorat. Ce que j’étais mal à l’aise en prenant le téléphone. Presque à en trembler. Dans ces horribles moments, je perds le contrôle : j’ai peur, voilà. C’est idiot ; mais je ne suis pas encore parvenu, loin de là, à m’en débarrasser. Et encore n’ai-je pas parlé à mon directeur lui-même…