Levé tard (Sonia restée ici jusqu’à deux heures du matin ; entre autres choses, je lui ai longuement parlé de Samuel Pepys, et discussion sur la Shoah, à propos du dernier film de Roberto Benigni – que je n’ai pas vu, et n’irai pas voir, je pense –, et, en contrepoint, de Primo Levi. Drôle d’activités avec une fille amoureuse, mais quand on ne désire pas…). Peu travaillé jusqu’à maintenant. À côté de la fac, photocopié deux exemplaires des cinq premiers volets de ces Notes, qui vont jusqu’au début du printemps 94, puis tombé sur Ermold : il portait une chemise de moujik et m’a descendu dans le centre. Chez Joris, qui m’a parlé d’ordinateur, et des idées qu’il a pour le son de son film (dans la séquence du marché, supprimer le son, et refaire seulement les voix en studio notamment), puis à Coiffard, où j’ai trouvé un livre pour Madeleine[1]. Je me suis laissé tenter aussi pour moi : encore un Chomsky (je dois réussir à mieux le comprendre) ; un livre d’Alexandre Koyré ; un sur Popper, Wittgenstein, Feyerabend et d’autres philosophes récents qui devrait me servir pas mal ; L’Année de la mort de Ricardo Reis, de José Saramago, récent prix Nobel, que je cherchais depuis longtemps ; le Journal de Mihail Sebastian pour finir, tenu pendant la guerre par cet écrivain Roumain et Juif quasiment ignoré depuis sa mort accidentelle en mai 1945.
Chaque fois que je croise une femme brune au volant d’une Ford Escort rouge, mon premier mouvement est de penser que c’est la mère de Xavier[2] (je m’attends à ce qu’elle s’arrête pour me dire bonjour). Elle est morte depuis maintenant plus d’un an pourtant. Elle est morte, mais je pense à elle aussi souvent que lorsqu’elle était vivante.
[1]Darling, de Jean Teulé, récit d’origine réelle sur l’horrible existence d’une paysanne « normale » du trou-du-cul-du-monde, en Basse-Normandie. Je ne sais pas ce que ça vaut (sans doute pas le livre du siècle), mais d’entendre l’auteur sur France Inter une nuit m’a tenté. Il faudra bien dire à Madeleine que ce n’est pas pour la dégoûter de l’agriculture.
[2] Xavier que je n’ai pas vu depuis un temps fou — depuis les quelques jours à Brest en juillet pour les concerts de Sonic Youth et Tortoise. On se parle au téléphone de temps en temps, mais vraiment pas souvent (Greg et Bérengère l’appellent au moins une fois tous les quinze jours, m’ont-ils dit). Et le week-end dernier, quand ils sont venus dans le coin Claire et lui, j’ai décliné l’invitation à dîner de Sophie, à laquelle ils se seraient hypothétiquement rendus, pour aller m’étourdir à l’Olympic. En fait, je n’avais pas envie d’y aller, mais c’est surtout l’idée qu’Hugues et sa copine y seraient peut-être qui m’a fait fuir (je ne me sens plus assez de commun avec eux et l’idée même de les voir me pèse). Je comptais aller les voir dans les semaines à venir, mais je crains que ça ne soit difficile. Et puis je ne vais pas y aller tout seul (par moments, j’en ai marre d’être tout seul). J’avais songé emmener Sonia, et la présenter comme mon amante, sans que ça m’engage à rien d’autre, faire un peu mon Paul Dedalus, mais ça ne va pas le faire, je crains d’en avoir assez trop vite. Et Joris (qui déjà n’a peut-être pas très envie d’y aller) est bloqué par son mémoire au moins jusqu’à la fin du mois.
À propos des gens dont je n’ai pas de nouvelles depuis longtemps, j’ai rêvé de Laure cette nuit ; sauf qu’elle, je ne suis pas pressé de la revoir.