Dans l’après-midi, passé à la fac pour discuter de mon travail avec Yoda (un de mes seuls interlocuteurs), mais il a abattu pas mal de mes dernières hypothèses : il les juge hâtives. Il me conseille de me resserrer sur des études de cas précis plutôt que de partir à bâtir des systèmes ; genre de chose à quoi je m’étais attelé au printemps, mais sans grand succès, sans parvenir à comprendre de quoi il retournait exactement dans la démarche. C’est un peu déprimant (et aujourd’hui, plusieurs heures sur SoundEdit pour Marie-Charlotte[1], activité qui m’enthousiasme beaucoup plus ; si j’avais le courage de me lancer, et que je récupérais de bons logiciels, comme j’enverrais bien balader cette thèse de merde. Pour le moment j’ai plutôt l’impression que les années passées dessus auront été gâchées). Ensuite numérisé des sons avec Ermold, pour le site internet que Marie-Charlotte fait avec Christophe Tessier, chez qui ont a ensuite passé la nuit à la soutenir alors qu’elle y mettait la dernière main. Ils ont fait un excellent travail, un jeu de l’oie à énigmes (et réellement interactif) à partir des œuvres de Christophe, mélanges de peinture et collages réinterprétant surréalistement le début du siècle — ça fait penser à Alechinsky. Ermold et moi étions censé écrire un texte de présentation du jeu, mais dans l’appartement très dandy aux lumières tamisées (« un vrai piège à filles »), l’ambiance était plutôt à la rigolade et aux blagues récupérées dans les corbeilles de l’Oulipo (de chambre). On a passé plus de temps à regarder des vieux illustrés érotiques ou des Glen Baxter, qu’à écrire — au grand énervement de Marie-Charlotte, qui n’a pas décollé les yeux de l’ordinateur, alors qu’elle avait déjà des cernes monumentaux à sa descente du train en début de soirée. Je suis parti parce que j’étais crevé et que le whisky me montait à la tête (un bon Canadian Mist) vers cinq heures et demie. Elle commençait à n’en plus pouvoir, et je ne sais pas ce que ça a donné ensuite.
Comme je n’étais jamais venu chez lui, Christophe a passé un certain temps à me montrer les plus belles pièces de sa collection de bibliophile (une bibliothèque conséquente), et j’ai visité l’appartement, agréable, fleurant le cosy d’une bohème un peu précieuse ; un appartement assez sombre, aux vieux meubles, lustres démodés et lourdes tentures, parsemé d’instruments de musique ou de ses travaux plastiques. C’est un type un peu étrange, ce Christophe, qu’on ne dirait pas fait pour notre époque. Il aurait certainement préféré vivre en 1910 ou 1925 ; c’est du moins ce style d’ambiance qu’il recrée, souvent jusque dans son habillement. Mais comme il a moins d’argent qu’on pourrait le croire, il habite un quatrième sans ascenseur, et les WC sont sur le palier. — Enfin si j’en suis là à son âge, je ne serai pas mécontent.
[1] J’ai à peu près terminé un bout de truc simple, à partir d’une mesure de batterie piquée chez Thelonius Monk, et de bruits électroniques venant d’une pièce de Ligeti de 1958, qui sonnent comme une contrebasse — entre la mélodie et l’aléatoire ; ça fait penser à un jazz froid, mais ce n’est pas trop mal (d’autant plus pour le temps passé dessus). À la fin, j’ai rajouté quelques bribes de piano récupérés sur un morceau de Wes Montgomery, mais je me demande si ce n’est pas trop reconnaissable.