Je n’ai pas très envie d’écrire. Depuis le début de l’année au moins, ça me semble moins important — d’écrire ici, je veux dire. J’essaie quand même quelque chose : je suis comme les vieux, je passe des heures à la fenêtre — et comme eux, je détourne la tête si je suis regardé à mon tour ; comme ceux qui restent immobiles à regarder les travaux en ce moment au carrefour, je reste de longues minutes à observer les machines et les ouvriers. Je trouve ça fascinant ; le ballet organisé d’engins monstrueux, l’avancement parfois déroutant des travaux. Et puis j’ai l’impression d’observer quelque chose d’enfin réel ; ça me renvoie de façon brutale à l’irréalité de ma propre vie. Je suis en dehors du monde. De toute la journée, je n’ai produit quelque travail que ce soit[1]. Il a fallu attendre ce soir pour que j’avance un peu. Je n’ai appelé personne, et personne ne m’a appelé ; je crois que je n’aurais pas décroché. Il y a sans doute le bruit obsédant de toutes les machines, continu et multiple, qui empêche mes maigres facultés de concentration de se rassembler ; mais aussi qu’une fois encore, je ne me sentais pas très bien. Hier soir, je me suis laissé inviter par Sonia chez elle, alors qu’au fond, je n’en avais pas envie ; je me suis laissé aller à ce qu’on couche ensemble, et je n’en avais pas envie non plus. Ça a été un fiasco ; pas total, puisque je l’ai fait jouir : mais ensuite, je n’ai plus eu qu’une envie, arrêter, rentrer chez moi. Je n’ai pas pu aller jusqu’à l’éjaculation, j’ai tout de suite débandé. Une grande défaite à nouveau, amplifiée par les justifications minables et humiliantes que j’ai dû en donner, alors que ce qui m’a bloqué, me dégoûtait même, c’est qu’elle avait mauvaise haleine : je ne pouvais vraiment pas le lui dire. La situation était d’autant plus ridicule qu’il a ensuite fallu qu’elle me ramène, vu que j’avais laissé un monceau de courses (et de bouffe en plus…) dans sa voiture. Le problème, toujours le même : je ne l’aime pas ; je ressens une espèce d’attirance sauvage, animale, mais ça ne va pas plus loin ; et j’ai un peu le sentiment d’en profiter parce que j’ai personne (d’autre). Aimer (et ça m’est quand même arrivé), c’est avoir envie de voir l’autre sans cesse, être suspendu à ses paroles, à ses gestes et ses actes, aimer même tout ce qu’il y a autour. D’elle, je ne vois souvent que ce qui me déplaît ; une fois sur deux je me ferme comme une huître, doit faire les plus grands efforts pour lui parler, je garde une distance exagérée. Mais alors elle s’éloigne, et je vais la chercher ; je l’asticote. Un jeu bizarre. Il faudrait que je ne la voie plus, je l’oublierais en un mois ; mais elle est en même temps la seule personne qui me rende plus supportable d’aller garder les chiards au collège. Nos « collègues » sont tous de sinistres crétins. Parfois, ça marche très bien (enfin, il faudrait plutôt parler au passé), mais il faut des conditions bien spécifiques. Là, même l’odeur entêtante de sa chatte, montée jusqu’à mes narines, a commencé de me faire regretter dès que je l’ai eu pénétrée. Je me dis que si j’aimais, quand j’aimerai, ce sera tout différent : mais il me glace de penser que je pourrais très bien avoir les mêmes insuffisances, que je suis peut-être bien plutôt incapable de m’incarner, ou de soutenir l’incarnation des autres. Ce n’est pas normal une excitation capable de disparaître aussi vite. J’ai une peur horrible de rater là aussi. Rater encore. Rater mieux. Rater plus mal encore.
[1] Et encore, même produit, ce travail n’a lui non plus aucune réalité, aucune signification propre.