Lundi 5 avril de Pâques, Nineteen ninety nine à Nantes, France

Hier après-midi, retrouvé Chepe-le-cinéphile pour aller voir, le courage à deux mains, un nouveau film portugais, Tráfico, de João Botelho, dans le cadre de la semaine lusophone co-organisée par la fac au Katorza. Sans ça il est probable qu’on ne l’ait jamais vu, puisque nous n’étions que sept, dans la grande salle. À nouveau un film bien barré, loin des schémas narratifs classiques et bourré de scènes loufoques et incongrues, chargées (sans doute) d’un symbolisme pas aisé à décrypter. Un cinéma qui fait du bien, parce qu’il pousse à réviser ses critères d’appréciation (c’est un truc qui m’énerve, la propension des journalistes « culturels », dès qu’ils présentent un événement un peu difficile, = qui sort des sentiers battus, à insister lourdement sur le fait « qu’on y rit beaucoup », comme si le caractère drôle était, non seulement nécessaire pour faire passer la pilule, mais était sa seule justification). Le film était cela dit assez marrant, mais de manière incongrue, comme lors d’une longue séquence immobile sur un jeune curé qui chante du fado dans la montagne d’une voix bien bien efféminée et maniérée, l’air inspiré et un petit agneau dans les bras comme une sorte de peluche. Il faut un peu s’accrocher ; mais ça vaut le coup.

Ensuite, fête chez Arnaud et Sophie au Pont, où j’ai emmené Chepe également, je me suis dit qu’il me connaissait assez pour que je puisse l’emmener à des soirées sans qu’il s’y emmerde (je crois ne pas m’être trompé de trop). Retrouvé toute notre clique vernaculaire, avec à notre arrivée, une ribambelle d’enfants entre un et deux ans, qui couraient partout. J’ai revu les photos des dîners de nos parents lorsqu’on était bébés Joris et moi ; un monde où je ne pensais pas me retrouver de sitôt — et en un sens, je n’y suis pas en effet : mais je veux dire par là que ça fait justement une impression un peu désagréable — dévalorisante — de ne pas y être moi aussi. Ensuite, bu un nombre incalculable de verres de vins différents, parlé du Kosovo avec Xavier de mon côté, comme au bon vieux temps. Mais beaucoup restés entre mecs, défaut autant substantiel que circonstantiel : puisqu’on n’a pas osé fumer à l’intérieur (sauf moi à la fin, lorsqu’il n’est plus resté, vers quatre heures, que Joris et moi et nos deux hôtes), on s’est tous agglutinés contre la porte-fenêtre dehors, et nous n’étions presque que des garçons à fumer.

 Un bon moment, mais j’aurais bien aimé parler avec plus de mes amis ; j’ai eu l’impression de ne faire que les survoler tous.

Dimanche, les enfants Kovács à la maison, István et sa copine, ainsi qu’Anna, venue tout exprès de Marseille, où elle est au pair cette année. Elle est devenue bien jolie. Mais nous étions claqués (Joris et moi ; Mady, elle, faisait la tête, à cause de cette histoire qui n’en finit pas de finir avec Baptiste — mal, bien sûr), et on n’a malheureusement peut-être pas grand-chose à se dire. Ils nous trouvent plus délurés qu’eux, d’après ce qui m’a été rapporté ; je doute qu’ils aient raison, pour moi du moins, puisque je connais bien ma pusillanimité pathologique ; mais il est clair qu’on évolue dans des mondes différents, et que malgré leurs voyages, leur maîtrise confondante de notre langue (ouverture que peu de Hongrois ont eu, qui doivent végéter dans un pays à l’économie sinistrée par la mainmise du capitalisme sur les ruines du système socialiste), ils ont un air un peu coincé ; trop « classique » sans doute.