Samedi 5 juin 1999, Nantes

Après-midi chez Yoda pour aider Ferni à préparer l’exposé de sa candidature pour un poste de maître de conférences à Compiègne — à peu près le seul travail que j’aurai fourni dans la semaine. Mon rôle était de lui expliquer les grandes lignes du fonctionnement de la grammaire générative, ce dont je crois m’être à peu près tiré. C’est la première fois que je passais un peu de temps chez Yoda, et j’ai évidemment ressenti comme un honneur qu’il me convie à cette séance de travail.

Puis appris que je n’aurais finalement pas de place pour la soirée Reprise dans les bâtiments d’Oxymore : Jean-Jacques Morice, dont je devais récupérer le billet, étant beaucoup mieux portant qu’on ne l’avait supposé[1]. Je suis déçu, parce que Loïc y jouait (avec l’ancienne copine de Katerine), que les Matieu(x) y allaient, Philippe Bertrand aussi, Jolicœur, Marc Ausone et toute la branchitude. Mais je n’en fais pas une maladie ; il y a longtemps que je sais qu’il n’y a rien d’autre à espérer de ce genre de soirée que de boire des bières et raconter des conneries avec des gens qu’on connaît déjà : un plaisir à consommer dans l’instant, des histoires, largement enjolivées, à conter par la suite, c’est tout. C’est d’attirance et de répulsion qu’est fait mon sentiment vis-à-vis de ces auto-célébrations de la branchouillerie ; sur le moment je crève d’en être, mais sais bien que ce n’est pas en y passant mon temps que je ferai non plus quelque chose de valable de mon existence (à moins de considérer celle-ci dans la simple consommation immédiate de plaisirs dilués, mais bon, je me répète). C’est Chepe qui m’a remis un peu de plomb dans la tête l’autre jour en moquant mes manières de ne vanter que ce qui est in à Nantes. Et c’est vrai qu’avec le temps, tend à disparaître la distance ironique (quoique déjà envieuse) de cette dénomination. Ermold arborait un air de vague commisération un peu déplaisant — mais après tout, il n’y pouvait rien ; lui a eu la chance (visiblement rare, je ne sais pas comment il fait) qu’on lui refile deux places gratuites. Enfin cette manie qu’il a de toujours connaître les bonnes personnes a tout de même quelque chose d’agaçant. Je suis resté au Flesselles boire un verre avec Adalard, et ai passé une petite heure chez Joris, avant de rentrer. De toute façon, il est déjà minuit, je ne vais pas faire plus que me mettre au lit avec L’Histoire du siège de Lisbonne : et ce ne sera pas la plus mauvaise fin de soirée possible. Anecdote amusante à propos de ce livre : le personnage principal est correcteur pour une maison d’édition, et l’intrigue tourne tout autour d’une erreur (volontaire) qu’il a commise : l’édition que j’ai est parsemée d’erreurs de césure, comme si la mise en page avait été revue, et qu’elles aient été effectuées manuellement dans la mise en page précédente sans que cette question soit ensuite reprise. Si j’étais sûr que l’éditeur m’envoie un autre exemplaire si j’écrivais, je le ferais.

[1] Ermold : « Oui, allo, François Balogh, la sieste est terminée… Debout là-dedans ! Bon… j’ai une mauvaise nouvelle pour toi… Morice semble en … assez bonne forme, et mmh… donc je le vois à sept heures et demie ce soir au Flesselles… et nous allons… repriser nos chaussettes… Voilà… Enfin si tu veux profiter de mon véhicule… pour tenter ta chance… tu peux toujours… Salut. »