À nouveau rêvé (ça ne m’était pas arrivé depuis longtemps) d’avoir les paupières comme soudées, d’être dans l’impossibilité d’ouvrir les yeux ; dans la pénombre, avec les efforts les plus démesurés, je parvenais à voir un peu, à entrouvrir un peu les yeux quelques instants, mais si tendu vers ce geste que j’en avais la nausée. Dès que je m’approchais d’un jour plus franc, il n’en était plus question, malgré toutes mes tentatives, et ça me donnait l’impression que j’imagine être celle de la noyade : une oppression totale. J’errais dans un appartement qui était à la fois le mien, un autre et une sorte d’hôtel de passe ; une vraie âme damnée. À vrai dire, ce n’est pas vraiment que mes yeux ne s’ouvraient pas, c’est Joris qui me l’indiquait : c’est qu’ils ne tournaient pas dans leur orbite, et restaient blanc à la vue des autres, retournés vers l’intérieur. J’errais à la recherche de Maman, et je l’appelais : « Maman ! Maman ! », dans l’espoir qu’elle puisse m’aider : dans le rêve elle était psychanalyste. Mais c’était peine perdue ; elle devait être dans l’appartement, mais impossible de la trouver. J’assimilais ma maladie à une impuissance sexuelle. Après, je ne me souviens pas, j’ai dû aller un pas de plus vers le réveil, parce que j’avais froid ; j’ai rabattu la couette sur moi pour dormir encore un peu. Je ne me suis levé finalement qu’à près de cinq heures ; après l’avoir fait une première fois pour manger, j’ai été repris par cette sempiternelle impuissance, le mal de tête, une envie de vomir diffuse et un dégoût de tout mêlés : j’ai préféré me coucher plutôt que d’endurer ces heures avant la fin de l’après-midi, où peut-être, là, je réussirais à travailler un peu. Mais quelle odieuse perspective. Vraiment rien n’y pousse que le sentiment d’une nécessité qui est toujours plus vague. Je suis tellement loin d’en voir le bout que l’imaginer simplement n’est pas du domaine du réel. C’est à désespérer. Hier soir, le plaisir de dîner chez Adeline et Fred avec Xavier et Claire (et Joris, comparse peut-être trop habituel[1]) a sans cesse été gâché, dans un coin de ma tête, par la connaissance que ce n’était qu’un petit intermède — et aussi parce que je ne suis, globalement, pas très en forme encore une fois (je crois que j’ai été con au moins à un moment ou deux, de façon claire). Je suis loin d’avoir pris tout le plaisir que j’aurais pu et dû prendre ; tout est passé très vite, avec comme un goût d’inachevé dont je me suis senti immédiatement responsable. Si je les voyais toutes les semaines, ça n’aurait peut-être pas grande importance, mais là, probablement, il faudra attendre la toute fin de l’année (et encore si le réveillon se déroule bien chez eux à Marseille comme ils l’ont proposé – oui, ils sont partis à Marseille pour cette année).
Je ne dois pas être fait pour le bonheur, vraiment. Je suis la bête perdue au fond du trou et qui n’arrive pas à rejoindre la lumière ; le petit enfant terrorisé par le monde et qui n’aspire qu’à retrouver le ventre de sa mère — et comme j’ai honte de devoir reconnaître ces choses à bientôt trente ans, quand tout le monde est maintenant sorti (si jamais les autres les ont connus) de ces petits problèmes de l’enfance. Qu’a-t-il bien pu m’arriver pour que je sois ainsi, si minable, si inapte ? Si incapable de vivre ? Et comment m’en sortir, puisque bientôt trois ans d’entretiens assidus avec mon psy n’y ont, je crois, rien changé ? Le pire est que je suis même incapable de faire quoi que ce soit pour essayer de changer — et des choses aussi simples que peut-être en choisir un autre, ou me mettre à faire du sport, puisque tout le monde m’y pousse, assure que ce serait bien (déjà la cigarette, dont je ne peux me passer, hors quelques moments d’énergie particulière, ou quand je suis bien absorbé – jamais plus d’une heure par jour, et encore –, ne fait que m’assommer un peu plus, m’enterrer dans ma merde, alors que je ne peux m’en passer). Je suis affreusement bloqué, terriblement malheureux, je ne peux vivre que dans les accalmies, rares et brèves, de démons intérieurs qui me rendront fous.
[1] Chaque fois que je suis sorti cette semaine, c’est en sa compagnie ; et lui est si positif et volontaire depuis qu’il est retourné avec Stéphanie (mais je mens, il l’était déjà avant) que je ne peux qu’être à sa traîne ; en un sens (et peut-être seulement à mes yeux) je me suis trouvé une nouvelle personne dont être le second. On ne dirait vraiment pas, à le voir, qu’il a eu un jour, comme moi, des problèmes qui l’ont amené devant un psy. Comment a-t-il fait pour s’en tirer ? Moi, je traîne toujours la même misère. Dans sa lettre reçue hier, Clément me parle de Christian Quermalet, le chanteur de Married Monk, que nous avons connu à Reading alors qu’il jouait de la basse dans Swam Julian Swam, et qu’il a rencontré cet été à Montréal où il était pour accompagner Yann Tiersen sur scène : il paraît qu’il se souvient de moi ; d’après Clément, je l’aurais marqué… mais franchement, je me demande bien comment. A l’époque, j’étais encore plus pourri de timidité qu’aujourd’hui : je devais être absolument transparent (malgré ma grande gueule). Je ne sais pas pourquoi, mais Clément se fait de moi une idée très fausse ; j’ai parfois l’impression qu’il me tient en une estime complètement indue.