Vendredi 10 septembre 1999, Nantes

Ça me met en rogne dès le matin. A nouveau un endroit où la communauté internationale se discrédite : le Timor Oriental, un petit territoire coincé sur une moitié d’île à l’autre bout du monde (enfin par rapport à ici). L’ONU y a organisé un référendum sur l’indépendance la semaine dernière (le Timor a été annexé par l’Indonésie, purement et simplement, en 1975). Les résultats ne sont pas encore officiels, mais il apparaît clair que la séparation d’avec l’Indonésie l’a emporté largement[1]. Et depuis, le pays est mis à feu et à sang par des « milices » pro-indonésiennes, relayées par l’armée indonésienne elle-même à l’occasion ; les populations sont déportées vers la moitié de l’île « légalement » aux mains du gouvernement de Djakarta, on massacre ceux qui résistent, la capitale est en flamme, les religieux sont assassinés[2] ; et le personnel de l’ONU (sauf quelques irréductibles) abandonne le terrain devenu trop dangereux (leur propre personne étant explicitement visée : ben oui, c’est eux qui ont assuré l’organisation du vote). Alors qu’il était censé le protéger. Scènes de la vie ordinaire sur la planète. Or ce qui se passe était absolument prévu. Je l’ai lu dans Le Monde Diplomatique des mois avant. Il n’y a aucun hasard dans cette violence : elle est orchestrée par le pouvoir indonésien (le gouvernement ou en sous-main l’armée). Qu’aujourd’hui on essaie d’envoyer une « force de maintien de la paix »[3] devient une sinistre plaisanterie — d’autant que le projet achoppe au refus de l’Indonésie, qui assure qu’elle fera « revenir le calme » seule. On peut la croire même sans cynisme : il faut seulement savoir que le résultat sera l’inverse de celui défendu par nos pays. Ah mais ça, ce sera calme !

Face au plus grand de ceux qu’on aime appeler les pays émergents — qui donc vont bientôt nous rejoindre —, face aux gros intérêts économiques en jeu, trois quatre cent mille indépendantistes isolés, ne pèseront jamais bien lourd. Et là, encore, on en parle dans la presse, ça permet de s’indigner un peu. Mais pour combien de situations de ce genre dont on ne pipe mot ? Je vais arrêter de m’indigner, c’est inutile. Il faut juste faire taire toute espérance naïve : c’est ça qui est difficile.

[1] Les résultats ne peuvent être officiels, puisque pour l’être, ils doivent être avalisés par le parlement indonésien, qui ne se prononcera qu’en novembre, les lignes qui suivent expliquent pourquoi.

[2] D’autant que le Timor est chrétien (c’est une ancienne colonie portugaise) ; l’Indonésie, elle, est « le plus grand pays musulman ».

[3] On voit comme les termes sont faux déjà : il ne s’agit pas de maintenir la paix, mais de la rétablir. Et peut-on même parler de « rétablir la paix » lorsqu’il y a une telle disproportion, de taille et de responsabilité dans le crime, entre les parties ?