9h53, j’écris en direct de l’amphi. Je sais déjà que je ne reviendrai pas vendredi. C’est chiant au possible ; il y a bien des interventions intéressantes, mais dans l’ensemble, c’est affreusement chiant — d’autant que la plupart des « orateurs » ne sont pas performants pour deux sous ; ils sont si soporifiques qu’on ne peut vraiment pas leur donner ce nom. Il y en a plusieurs qui ont parlé hier dont je serais incapable de résumer le propos, je ne sais pas ce que j’ai fait, à quoi je pouvais penser, mais j’ai décroché. On voit bien que la plupart ne sont pas ici pour apprendre quelque chose à l’auditoire, mais simplement pour vendre leur soupe à des gens qui ne sont même pas dans la salle : pour avoir une publi, comme on dit dans le jargon. Ça se ressent d’ailleurs dans le côté hétéroclite des sujets — et dans ce que tous les exposés sont loin d’être pertinents. Je n’ai pas pu m’autoriser à participer, je ne voyais pas ce que j’aurais pu apporter (et je n’ai pas eu le temps de m’en occuper, même si ça aurait été bien pour mon avenir), mais visiblement, tout le monde n’a pas les mêmes scrupules. Et puis c’est le cirque habituel, avec en ce moment-même le type dans les gradins qui monopolise la parole pour une interminable question qui n’en est pas une, parce qu’il crève d’envie d’être sur l’estrade (il faut vraiment que je me retienne pour ne pas sortir, mais je sais qu’il faut que je soigne cette névrose idiote). Voilà maintenant qu’il se retourne vers les rangs du fond — et Gagnepain — pour juger de son effet. À gifler.
En plus, je ne connais presque personne, je me sens terriblement isolé, avec cette difficulté à savoir quoi leur dire pour aller vers les gens. Il faut que je trouve le moyen de parler à Branger (qui a dégotté un bon prétexte pour ne pas venir hier), de lui donner mon papier ; qu’il va trouver trop maigre, bien sûr. Mais pour le reste — hier en tout cas — je n’ai guère parlé qu’avec Bolo, un copain du Yoda rigolard et aux dents pourries que j’avais eu en linguistique en première année il y a dix ans. Yoda n’est pas là (il m’a dit qu’il n’avait rien à y faire), et Ferni non plus : lui, c’est qu’il est dégoûté. Il y a d’ailleurs nettement moins de monde qu’au colloque précédent, il y a trois ou quatre ans, et on a été relégué dans un petit amphi, dans un bâtiment moins classe : ça montre bien que la théorie de la médiation ne sait pas fédérer. Il y a aussi moins d’étrangers ; moins de Belges, aucun Portugais. J’ai un peu l’impression que ça se réduit comme peau de chagrin. Bref, tout ça n’est pas très encourageant. Je venais en partie pour me remotiver, mais c’est le contraire qui se produit : s’y remettre n’en sera que plus difficile (et je vois déjà ressurgir les sempiternelles questions, pour quoi faire ? etc. Il va falloir résister). Hier soir en rentrant, je me suis arrêté dans le centre acheter le dernier album de Katerine, pour contrer les effets délétères de la journée.
De retour chez Ben et Anne-Hélène. Il suffit de peu (et qui est beaucoup) pour changer une journée. À midi, j’ai déjeuné avec les rares étudiants présents, avec qui j’avais déjà échangé quelques mots dans l’après-midi hier ; deux garçons et une fille, une fort jolie Agennaise, avec un de ces accents du sud qu’on entend trop rarement par ici. J’ai bien accroché avec elle : le ciel s’illumine d’un coup. Ensuite, ses deux camarades ont disparu, et on a passé toutes les pauses de l’après-midi à bavarder tous les deux. À la fin, elle m’a même déposé juste devant la maison — parce que c’était son chemin. J’ai vite appris qu’elle avait un copain (une innocente question à propos d’un médiator qui traînait dans sa voiture) : il ne faut pas trop en demander. Mais dans tous les sens de l’expression, ce n’est pas forcément un problème. Ça suffit déjà pour éclaircir la journée, et je reviendrai plus volontiers à la fac si c’est une occasion de la revoir. Elle va peut-être même me décider à revenir sur ma décision de rentrer à Nantes dès demain matin. Mais comme Benoît m’a suggéré de sortir ce soir, je ne sais pas si je serai assez frais pour me lever à temps pour retourner à la fac.