Vu Rosetta avec Ermold : la Palme d’or à Cannes qui a fait tant parler au moment de son attribution en mai. Maintenant, c’est le contraire : un concert unanime de louanges. Un film très intéressant, mais je ne parviens pas à être totalement gagné par l’euphorie critique. Le côté très minimaliste de n’être centré que sur Rosetta dans sa recherche pathétique et déterminée d’une « vie normale », jusque dans les cadrages étouffants qui jamais ne s’ouvrent sur autre chose que sur sa présence dure et tendue, en colère, séduit par le parallèle qu’il établit avec le film de guerre (Rosetta est en opération commando — impression que de nombreux éléments du décor renforcent : la forêt, la voie rapide à traverser, le camping glacial et désert, etc.), par la façon dont il surdétermine la compréhension de « l’histoire » (on n’a pas vraiment envie de pénétrer ce monde du travail, que Rosetta veut, elle, à tout prix intégrer[1]) ; mais peut-être est-il excessivement expérimental à force. Bon, cela dit, cette réserve est maigre – juste une tentative d’expliquer pourquoi je n’ai pas été transporté d’enthousiasme. Mais c’est très bien ; une belle proposition de cinéma en marge des canons qu’on finit par ne plus même voir. Mon sentiment est peut-être dû à ce que c’est un film très dur, sans guère de perspective (c’est presque aussi noir que La Promesse, l’excellent film précédent des frères Dardenne — Rosetta n’est pas du côté des mauvais, mais elle est tout de même capable de trahir, et presque de tuer pour arriver à ses fins — et semble avoir encore moins d’issue).
[1] Elle ne vient pas franchement d’un milieu facile : elle, doit chercher à s’en sortir, la perspective de terminer comme sa mère n’a rien pour la réjouir (sa mère qu’il lui faut élever comme si c’est elle qui était l’enfant et Rosetta la mère). D’où le type d’univers peu riant qu’elle est en mesure d’aborder (tous les lieux de travail ressemblent à des prisons, des cliniques ou des cages), et d’où la difficulté de les pénétrer peut-être. On peut le voir comme un reflet d’une réalité plus générale. Je connais de nombreuses personnes, autour de moi, qui n’ont pas vraiment l’intention de travailler : mais si on se réfère aux motivations des grèves de lycéens en ce moment un peu partout en France, ce n’est pas la loi générale. On est là loin de toute velléité de révolte : ce qu’ils veulent, c’est que l’école soit parfaite pour leur permettre d’étudier, pour que le monde du travail puisse ensuite les accueillir. Je suis peut-être un adolescent attardé, mais plus ça va plus je trouve qu’il y a quelque chose de foireux et d’anachronique dans cette survalorisation du travail comme seul moyen « d’intégration sociale ».