Jeudi 12 octobre 2000, Nantes

Un appel de Papa peu après midi : on lui a opéré une petite résection de la prostate ce matin, il est de retour dans sa chambre depuis une heure à peine, et n’a pas du tout eu l’air de présenter encore des signes d’anesthésie — lorsque j’ai entendu sa voix, j’ai même pensé qu’il rentrait juste en clinique (il est arrivé hier). Chirurgie et anesthésie sont visiblement des domaines de la médecine qui ont beaucoup progressé ces dernières décennies. Il appréhendait un peu (quoiqu’il n’en ait rien laissé paraître), puisqu’il ne s’était encore jamais fait opérer. Mais tout s’est donc bien passé. J’irai le voir demain.

La violence, après quelques jours de relative accalmie, recommence d’être tellement forte entre les Palestiniens et les Israéliens (avec cette fois un rôle trouble de la police palestinienne, semble-t-il[1]) qu’on peut redouter que ça tourne ni plus ni moins à la guerre. Quand on pense que, avant que tout ça ne commence, Ehud Barak avait, pour la première fois, évoqué l’idée que Jérusalem pourrait être la capitale partagée des deux états (une véritable révolution)…

Concert de Blonde Redhead à l’Olympic, auquel je suis allé avec Philippe. En première partie, un groupe français jeune, plus intéressant que la moyenne ; beaucoup d’influences clairement décelables, mais de bonnes idées de ci de là (et groupe efficace) — sur la fin, ils se sont malheureusement montrés comme le groupe de Bressuire qu’ils sont, sacrifiant les chansons à un second degré de balloche.

Bon concert de Blonde Redhead, qui a parcouru le répertoire des quatre derniers albums, jouant nombre de morceaux de Fake Can Be As Good (mon préféré[2]), et terminant par une version très enlevée de « (I am taking out my eurotrash) I still gets rocks off », avec la voix entêtante de Kazu Makino. Mais ils jouaient vraiment trop fort. Au début, j’ai trouvé agréable de me retrouver plongé dans le bain de boucan, comme à l’époque bénie des concerts des Boo Radleys[3], mais c’était trop strident — grand débat, ensuite, entre Mathix et moi pour savoir s’il y avait ou non une basse par moments : j’ai soutenu que non, et il m’a pris pour un fou ; mais je sais ce qu’est une basse, et je maintiens (sachant que j’ai pu me tromper, même si je ne comprends pas comment cela me serait arrivé : ce genre d’hallucination s’est déjà produit). La voix de Kazu Makino est déjà très aiguë : là, on avait peine à entendre les mélodies lorsque c’était elle qui se trouvait au chant. Philippe a même dû sortir un moment pour se reposer les oreilles. Je l’ai rejoint quelques minutes : on entendait nettement mieux les chansons depuis le hall. Parce que ce sont après tout des chansons, quoique torturées par les dissonances : les mélodies, à la voix ou à la guitare demeurent accrocheuses (proches, en cela de celles chantées par Thurston Moore sur Daydream Nation ou Goo — pour le reste, l’influence de Sonic Youth, encore présente, est suffisamment digérée pour produire une musique personnelle : un format plus pop car plus ramassé, sans digressions bruitistes de dix minutes, un plus grand minimalisme de l’instrumentation, qui joue admirablement de la structure du trio — et un batteur original, au jeu d’une grande pertinence[4]). Bon concert, mais qui m’a moins plu que le premier que j’avais vu, pourtant dans de plus mauvaises conditions d’écoute : mais c’était encore l’époque où je me plaçais au premier rang pour voir ; maintenant, je reste plus volontiers au fond de la salle. Comme les vieux. Ma soirée a aussi été un peu gâchée par la présence de Sonia J’ai fait tout ce que j’ai pu pour qu’elle ne me colle pas, mais le simple fait de la savoir là, et qu’elle pouvait à tout moment venir vers moi (ce qui s’est produit à la fin, où je n’ai réussi rien d’autre que de la lui battre très froid, tant je n’avais pas envie de la voir) réduisait mon plaisir.

Passé ensuite chez Joris, où j’ai retrouvé Clément et Hélène, à qui j’avais donné rendez-vous là : ils sont revenus hier soir de Montréal. Nouvelle vie ! Mais les voir assis dans le canapé en face de moi a vite semblé tout ce qu’il y a de plus naturel. Longue conversation, où Joris, Alex et Lionel se sont montrés très en verve. Rentré tard chez moi.

[1] Arafat est-il vraiment débordé, ou cherche-t-il à jouer de la situation ? Je pencherai plutôt pour la première option. Difficile, en effet, d’imaginer qu’il puisse sortir de cela quelque chose de bon pour la Palestine (même si le « processus de paix » engagé depuis un moment après la signature des accords d’Oslo a laissé la part la plus belle à Israël).

[2] Mais (ce qui arrive rarement), je les ai tous réécoutés dans la journée, avec un plaisir non démenti.

[3] Tiens, j’ai entendu chez Lenoir une chanson de Martin Carr en solo : cela m’a paru en revanche dénué du moindre intérêt. Ce qui fait la force d’un groupe est loin de toujours se retrouver dans les disques de son leader une fois le groupe dissous ; et mes goûts ont changé aussi.

[4] Si l’on excepte les grands classiques, j’écoute aujourd’hui bien plus souvent Blonde Redhead que Sonic Youth ; dont je n’ai même pas acheté le dernier. Une première depuis dix ans ; mais je sentais qu’il allait m’éprouver.