Jeudi 9

Premier cours à la fac ; celui dont la préparation m’a coûtée cinq pages de ma thèse (j’exagère : il y a aussi la cuite de vendredi). Entré dans la salle, archi-comble, je me suis trouvé un peu nerveux, mais ça s’est bien passé. Ils étaient attentifs, mais je ne sais pas si je les ai intéressés. J’ai cherché autant que possible (c’est ma méthode) à resituer mes propos par rapport à l’objectif général du cours : mais c’était tout de même sur l’aristotélicisme et la scolastique. On verra combien auront déguerpi au suivant. Pas mal de gens que je connaissais dans la salle (Romain, Dan, le gars qui a fait son stage en juin chez Kaleidoscope, une copine d’Aurore), ce qui m’a moins gêné que je l’aurais cru. En revanche, pas d’émotion particulière à revenir à la fac ; il faut dire que je n’en ai pas vraiment le temps.

Malgré ce peu de temps, sorti hier soir avec Radulphe et Bohémond — il faut profiter des soirées de liberté que nous laisse l’absence d’Ermold le Noir. Et les événements se sont enchaînés comme d’habitude, quand j’avais juré que je rentrais à dix heures. Au Bar du coin, nous sommes tombés sur la Grande Bergère, la fameuse sœur de René Bergère seule à boire ; la pythie de notre groupe, celle qui, dès qu’elle a bu quelques verres, perce au fond le plus impénétrable et lui sort ses quatre vérités. Cette fois-ci, ça a été mon tour, parce que je l’aguichais un peu ; elle m’a reproché de jouer un rôle, d’être sous la coupe du baron, de ne pas savoir ressentir les choses autrement que de manière intellectuelle, d’être incapable d’avoir une relation naturelle avec les gens, etc. Il y avait une nette attirance sexuelle entre nous, chose qui ne trompe pas, je n’ai cessé de bander comme un âne en lui parlant. De ça, je la remercie.

En rentrant, un message de Florence, que je n’ai pas le courage d’écouter maintenant. Elle ne peut vraiment pas se passer de moi…

Lorsque nous habitions en Dordogne, j’ai plusieurs fois été témoin (je crois) d’une sorte de rivalité qui opposait les supporters de Nantes à ceux de Saint-Étienne, qui était alors la grande équipe de foot française. En tant que nantais d’origine, j’étais très minoritaire. Cette fois-ci, j’étais à l’âge adulte, mais encore aussi un enfant, assis à une longue table de bois clair dans une pièce très blanche ouverte sur de l’herbe verte, et je me mettais à pleurer sans pouvoir me retenir à cause d’un incident où on m’avait justement reproché ma qualité de Nantais, et descendu le club par rapport à celui de Saint-Étienne. J’ai du mal à trouver les mots pour décrire convenablement la situation, et suis à peu près sûr que la justification de l’épisode par les souvenirs est fausse (j’étais beaucoup trop jeune alors, et dans ma famille, on ne s’intéressait pas au foot) ; mais je pleurais comme je n’ai pu retenir mes larmes plusieurs fois devant le docteur Moreau, en particulier à l’évocation d’épisodes de mon enfance à Javerlhac avec Joris.