jeudi 20 février

Hier j’ai gaffé, c’était couru. La belle Nathalie n’a cessé d’essayer de me soutirer des informations, qui c’était, comment elle était, ce qu’elle faisait, etc. J’étais dans l’ignorance. Mais lorsqu’elle m’a demandé son nom, après un moment d’hésitation, je le lui ai donné : Rambuteau. Marie-Charlotte Rambuteau. Je ne voyais pas autre chose que cette soif bizarre de connaître qui anime l’abandonné, qui veut peut-être par là se raccrocher à l’autre même si c’est peine perdue (et peut durer même après qu’il n’y ait plus rien ; ainsi ai-je insisté bien lourdement samedi soir auprès de Stéphanie pour savoir de quelle ville était originaire l’homme « de sa vie » — qu’écrire ça est déplaisant). J’ai compris seulement le but de la manœuvre, du moins la tournure qu’avait pris la possession de cette information, lorsque Marie-Charlotte a raconté ce matin de sa voix traînante qu’elle n’avait pas dormi de la nuit à cause d’une série de coups de téléphone anonymes à partir de deux heures du matin.

Il est presque cinq heures du matin, et je n’ai pas du tout envie de me coucher. Cette nuit j’ai fait l’amour avec Laure. Je le fantasmais depuis si longtemps. Pourtant, je n’y ai pris aucun plaisir. Je n’ai même pas réussi à éjaculer. J’avais l’impression de limer une planche. Je n’y étais pas du tout malgré le désir irrépressible que j’en avais une minute avant. Comme nous utilisions un préservatif, peut-être ne s’en est-elle pas rendu compte. Il vaut mieux ne pas réaliser tous ses désirs, voilà ce que ça montre ; ou que l’amour est là vraiment nécessaire, je ne sais pas : je dois me rendre aux arguments de Joris, qui affirme (en poète) que c’est la chatte de celle qu’on aime qui a le meilleur goût[1]. J’aurais préféré qu’on reste juste l’un contre l’autre à se toucher, à se caresser, sans aller plus loin, pour qu’une sorte d’irréparable ne soit pas commis : irréparable non pour l’acte lui-même (il ne me pose pas de problème moral), mais pour l’image que j’ai d’elle… Nous avons toujours eu un rapport ambigu ; mais si j’ai été amoureux d’elle il y a longtemps, et pendant longtemps ! – ça a commencé lorsque nous étions en 5e au collège – je ne le suis plus. Peut-être est-ce aussi que l’abstinence fait perdre, contrairement à ce que j’aurais pensé. Non. Chez moi c’est l’amour qui fait monter le désir en flèche, c’est tout. Elle, je crois que ça l’a un peu vexé, alors qu’elle s’était montrée comme soulagée par mes avances soudaines.

J’espère que nos relations n’en seront pas trop changées, mais je crains si. Ça tenait sur le tabou : chacun désirait l’autre, le désirait sexuellement (quoique pour des raisons peut-être différentes), mais on savait qu’il n’était pas possible d’aller au bout. Cet — infructueux — assouvissement risque de tout gâcher. Mais si ce qui est arrivé le devait sans doute. Le contexte est très différent, mais j’éprouve un peu la répulsion qui, à la fac, m’avait fait rompre brutalement avec Christelle, que j’avais soudain prise en horreur alors que j’étais très amoureux d’elle au fond. Il me reste l’odeur de son parfum, sur moi et sur mes vêtements ; ça me gêne. Je vais aller m’asperger du mien.

[1] J’avais du dépit à ne pas avoir d’aventures comme lui en a ; maintenant je sais que ce n’est ni si difficile, ni si extraordinaire.