Le lendemain (samedi 22 février 1997)

5h08 du matin (donc en fait dimanche) ; ça va finir par devenir une litanie… J’attends la quarantième occurrence pour que ce soit, comme dans les films muets, générateur de comique, ou pour qu’y transparaisse une involontaire poésie du quotidien, comme chez Samuel Pepys. Mettons-y plutôt le holà ; déjà lundi je pars deux jours m’aérer à Saint-Gildas de Rhuys avec Clément, qui est de passage dans le coin pour les vacances, Joris et d’autres potes.

Cet après-midi, aussi, répétition chez Mathieu avenue de l’Hôtel-Dieu pour le prochain film de Joris où nous jouons tous les deux ; pas très efficace, mais dont sont sorties deux ou trois choses pas mal, qui vont améliorer notre prestation (ça reste du travail très amateur, et il est clair qu’on n’est pas bon). Puis un vrai après-midi de glandage qui sent les vacances printanières, avec arrêt à une terrasse de café. Clément est arrivé en fin de matinée ; il est là avec une copine québécoise qui est à l’école avec lui cette année à Toulouse.

Pour finir à une fête rue Kervégan, pour l’anniversaire de la nana avec qui était Adalard cet hiver. Un petit appart charmant tout en haut ; la demoiselle l’est aussi, avec ses yeux caressants et la vivacité de ses boucles brunes. Je lui apporte un bouquet de tulipes — je l’aurais sans doute fait sans mais Ermold dit j’ai mes chances.

C’était une très bonne fête, on a bien ri et il y avait de la séduction dans l’air. Je me suis senti libre.  Je suis venu avec Clément, sa copine, et aussi Fred Bernard. J’ai raconté beaucoup de conneries. Maintenant j’ai un peu honte, il y avait une de mes étudiantes, une grande amie de notre hôte, et l’information va circuler, forcément, ça plaît toujours les anecdotes pas glorieuses sur les profs… J’espère que je ne me suis pas grillé. J’étais bien éméché il faut dire. Pas tant qu’Adalard, qui, lui, en sortait à la pelle, des conneries ; mais il était très drôle. Il faisait rire les filles, et, narcissique comme il est, y prenait grand plaisir. Moi je me sentirais incapable d’aller où il va – j’ai le sens de la décence trop haut placé (une erreur sans doute)… À l’heure qu’il est, il doit essayer de recoller avec la nana ; je me verrais bien à sa place. Mais j’ai été séduit surtout par l’étudiante, je dois dire : pulpeuse, amusante… Il paraît qu’elle est juive : je ne sais pas pourquoi, ça renforce mon attirance.

Enfin, obsessionnels et braillards comme chaque fois qu’on a bu (tout le temps, quoi), Ermold, Adalard et moi criions d’une voix aigrelette des propos sans queue ni tête, toujours les mêmes. Ça devait être fatigant, vu qu’avoir six ans d’âge mental n’amuse vite plus que soi, mais tout le monde était bien parti, l’ambiance était débridée. Une bonne soirée, vraiment. On a inventé des jeux idiots, comme de se faire passer une bombe de laque par la ceinture pour qu’elle tombe à terre par une jambe de pantalon (la grosse blague…). Mathix, qui était là aussi, a retrouvé un nom de groupe de rock rigolo, Vicious Viticultors, et ça nous a tenu un bon moment. Des copains de notre fameux Agressive Agricultors, un groupe de trash des années 80, peut-être bordelais, dont aucun de nous n’a jamais rien entendu, mais dont le nom, et surtout l’immortel titre « Le Tracteur maudit » suffit à notre bonheur. Rien que l’idée du tracteur maudit est à pisser de rire.

J’ai aussi passé du temps avec Marie-Charlotte, qui me plaît bien avec son petit air de tout regarder comme si elle débarquait de la planète Mars. Qu’elle soit avec le double maléfique incite à me rapprocher d’elle, mais c’est sans forcer (leur liaison, en revanche, paraît encore bizarre : il commence à y avoir une sacrée différence d’âge entre eux ; le cliché du prof qui sort avec une de ses étudiantes).