Samedi soir, à la fête énorme organisée par Clément et Sophie pour leurs anniversaires dans la maison des parents de Clément, je suis sorti avec l’ex-copine d’Adalard. La fille chez qui nous étions le samedi d’avant. Et j’ai passé la nuit avec elle – sans baiser… Oh comme j’aurais voulu marquer ce jour d’une pierre blanche ! Sarah, elle s’appelle ; un nom que j’espère dire encore ici souvent. Sans savoir si ça sera bien le cas. Déjà dimanche, elle n’était plus aussi sûre d’elle, et m’a dit qu’elle voulait réfléchir, « faire le ménage dans sa tête », qu’elle m’appellerait vite. Compréhensible : la rupture avec Adalard n’avait pas été mise au clair, avec des hésitations sans fins ; il n’avait pas cessé de chercher à se la refaire, et samedi soir il tirait une tronche longue comme la cordillère des Andes après qu’elle lui ait expliqué longuement que c’était fini cette fois. Mais lorsque je suis allé la voir hier en fin d’après-midi, le cœur dans les talons, ce n’était plus exactement ça ; elle n’était pas sûre de ce qu’elle voulait, il fallait d’abord apprendre à se connaître, mais ça ne tenait pas du tout à moi, au contraire, etc. Sur le moment j’ai été pris au dépourvu : mais j’ai relu ses premières paroles comme le signe clair que ce serait peut-être bien sans lendemain, cette histoire…
Et puis ses difficultés ne concernent pas que le domaine des sentiments ; d’une manière générale elle est un peu perdue (enfin c’est ce qu’on m’a dit). J’ai bien dû jouer le détachement, et hormis l’excitation (infinie) due aux merveilleux premiers moments passés ensemble, qui m’a un peu tournée la tête, ce n’était pas hors de ma portée. Je la connais à peine, et il y a quinze jours je n’aurais pas imaginé avoir un jour une aventure avec elle. Mais je suis aussi prompt à tomber amoureux… Je suis parti dépité, et malheureux. Ça ressemblait trop à une fin de non-recevoir.
Après cette longue période de plus d’un an depuis que Stéphanie m’a quitté, et après l’accrochage sérieux que nous avons eu tous les deux au Saguaro il y a une dizaine de jours, j’ai fait mon deuil ; je me sens prêt à entamer un nouvel amour. Je ne pense même qu’à ça. Et voilà que ça retourne comme avec Bambi cet été. Le début est prometteur, me fait espérer un grand bonheur (bon, en partie du fait d’avoir simplement réussi à vaincre mes inhibitions), et puis, très vite, ça ne tient pas, ça s’écroule.
C’est vrai que là, tout s’est passé très vite ; et ce n’est pas moi qui ai fait les premiers pas. Elle m’attirait, mais c’est tout. Lorsque j’ai su qu’elle viendrait, j’en ai été juste content, parce que ça voulait dire que Marie-Charlotte venait aussi, et que je l’aime vraiment bien (et qu’il me semblait que les cachotteries au sujet d’elle et Ermold pouvaient cesser). Ce n’est pas non plus vraiment elle qui a fait les premiers pas ; une conjonction de facteurs plutôt. Depuis quelques temps, Ermold le Noir ne cessait de suggérer, sur le ton de la confidence, qu’avec elle c’était frisou pour moi, comme il dit en faisant le geste de se retrousser des moustaches du bout des doigts. Et puis dans la soirée même, j’ai eu plusieurs allusions appuyées de Marie-Charlotte à ce sujet : c’était presque faire l’entremetteuse comme lorsqu’on a quatorze ans (« Tu sais, ma copine… elle t’aime bien… elle serait tout à fait d’accord pour sortir avec toi »[1]). Même Loïc, amusé, m’a dit que « je devrais y aller » : sa copine, est la voisine de Sarah, aussi une de ses grandes confidentes. Alors je n’ai plus hésité ; même pas eu besoin de prendre mon courage à deux mains. Après plusieurs approches, je suis allé murmurer à Arnaud, qui assurait la musique, s’il pouvait jouer une biguine : elle m’avait appris comment le danser le soir de son anniversaire. On a dansé de longues minutes étroitement enlacés, j’avais contre moi son corps chaud et élastique, nimbé d’un parfum délicat et pénétrant, et ses cheveux contre mes lèvres. Nous étions seuls au milieu de la pièce, l’assistance faisant cercle autour de nous (le morceau durait ! durait !…) ; Adeline a fini par inviter Paul sur la piste pour qu’on ne reste pas juste tous les deux peut-être. C’était tellement sensuel qu’au bout d’une minute je bandais comme un fou, avec l’impression d’avoir une bite de cheval descendant le long de ma cuisse. Puis on s’est embrassé, je l’ai serrée doucement dans mes bras : tout était simple, merveilleux.
Et puis tout redevient ensuite très compliqué : dans sa tête ; peut-être une fois que l’alcool a eu cessé de produire tout effet, tout relâchement… Peut-être aussi que tout ça n’est finalement pas si compliqué ; je lui plais, mais elle s’est laissé aller à faire plus que ce qu’elle voulait et ne sait comment s’en dépêtrer avec élégance (et que je lui aie plu la première fois qu’elle m’a vu il y a presque un an n’y change au fond peut-être rien). Et si je ne pense pas avoir trop fait qui ait pu me desservir, rien n’indique que je ne puisse bientôt me griller par une maladresse. Pourtant aucune place forte n’est imprenable si l’on s’en sent les moyens. J’ai eu l’impression que le courant passait, quoiqu’on ne se connaisse en effet pas, qu’il pourrait en sortir quelque chose. Je n’ai pas grande expérience des multiples aspects que peuvent revêtir les relations amoureuses ; pour moi ce qui commence ne peut l’être que pour durer (même si dans les faits on se rend parfois vite compte que ce ne sera pas le cas), je n’envisage pas les coups ponctuels, n’y vois qu’une recherche encore plus égoïste, pas constructrice. Je suis sentimental ; comme une gamine pas encore frottée aux mésaventures. Tout repart à zéro, j’en ai bien peur, comme s’il ne s’était rien passé : sauf que maintenant j’ai envie qu’elle soit ma copine… C’est idiot, parce que sans ces avances qui pourraient être oubliées dans un mois si je le voulais (vu leur poids effectif négligeable), je n’en serais pas là. Mais cette nuit avortée m’aiguillonne, et puis elle me plaît, elle est le genre de fille avec qui je me vois bien : ce n’était absolument pas le cas de Bambi, et c’est sans doute ce qui m’a arrêté au moment crucial dans mes tentatives (aussi parce que nous étions trop différents pour que justement j’aie les armes adéquates ; je joue de la gentillesse, de l’écoute et de l’humilité, et ce n’est pas ce qu’il fallait mettre en avant avec elle, je crois — en plus, on pourra juger cette manière inadéquate dans le cas général ; elle l’est d’autant plus que je ne suis pas comme ça en vrai : cette gentillesse est surjouée, même si pleine de sincérité sur le moment) ; pour ce qui est de savoir si on s’entendrait, plusieurs de ses confidentes m’ont dit qu’on irait bien ensemble. Puissé-je faire qu’elle soit convaincue, et puisse laisser s’exprimer cette attirance qu’elle dit éprouver pour moi ! Je sais maintenant que vivre seul n’est pas si terrible à certains égards, mais c’est vraiment autre chose que je cherche.
Et en plus de tout ça ce que j’écris est très mauvais. J’aurais mieux fait de m’en tenir à mon précepte et de ne pas en parler[2].
[1] Chose que je n’ai que trop peu entendu à cette époque !
[2] Je devrais de toute façon mieux ne pas en parler maintenant du tout : Jean Defoix, quand j’étais en licence, nous avait dit, je ne sais plus à quelle occasion, qu’il valait mieux ne rien écrire sur une histoire d’amour, même en germe, avant qu’elle ne soit terminée. Il avait raison.