Même parcours qu’il y a deux jours. Il est presque quatre heures. Plaisir à parler longuement avec Marie-Charlotte. Des problèmes qu’Ermold lui pose déjà. Il la soupçonne, pour commencer, d’avoir un faible pour moi. En est presque à lui faire des scènes. Et moi qui venait de confier à Paul que je l’aimais beaucoup. Espérons qu’il n’ira pas le répéter, Ermold se ferait un plaisir de l’interpréter dans le mauvais sens. C’est vrai que je ressens une grande sympathie pour elle, mais enfin je suis tombé des nues. On ne pourrait plus avoir des sentiments « purs » (si la pureté a quelque chose à voir là-dedans). Je suis très ennuyé, et de la voir si triste, pleurant presque. J’en avais mal au cœur. Quoi dire ? La réalité des sentiments du noir garçon, difficile de savoir, même si sous sa carapace d’indifférence se niche plus de sensibilité qu’il n’aimerait bien en montrer — la dégénérescence, même « supérieure », me semblant difficilement pouvoir tenir lieu longtemps de programme d’existence à moins d’être totalement malade, mais je l’aurais repéré, j’espère. J’espère donc que ça va s’arranger, elle est accrochée ; que ça ne finira pas comme la fois précédente.
Surpris d’apprendre par ailleurs (Marie-Charlotte et moi sommes restés une heure à parler dans sa voiture en bas de chez moi — ça ne va pas arranger nos affaires) qu’elle avait beaucoup œuvré pour Sarah et moi, et avant même que je ne l’aie remarquée ; parce qu’elle savait que je lui plaisais — si je l’ai remarquée, c’est donc aussi parce qu’on a tourné mon regard vers elle. Une sorte de cabale positive… Ça ne m’était jamais arrivé (c’est ô combien plaisant, malgré un résultat pas vraiment à la hauteur des espérances). La situation n’est pas simple là non plus, avec de la tergiversation des deux côtés, mais tout espoir n’est peut-être pas perdu. Je me sentirais presque heureux.
Ma grand-mère est morte ce matin à six heures. L’annoncer de façon aussi abrupte peut sembler bizarre parce que j’aimais beaucoup ma grand-mère, mais c’est que je n’ai pas ressenti de réelle tristesse ; sans doute que je ne réalise pas encore. C’est aussi qu’elle avait déjà quitté peu à peu la vie, s’éteignant depuis de si longs mois, que c’est comme si cette mort n’était qu’un aboutissement naturel, et finalement presque heureux ; pour elle, pour nous. Qu’était-elle déjà d’autre que le souvenir qu’on avait d’elle valide, dans un corps odieux d’où l’esprit avait disparu, qui se faisait cadavre un peu plus chaque jour ? Je suis même surpris de réagir ainsi.