Lundi 14 avril 97

Fort de mes bonnes résolutions (puisque je suis mec à prendre ces sortes de choses…), je devais dès levé faire de l’exercice physique, histoire de perdre un peu du gras qui me reste autour du ventre, et la perspective n’était pas désagréable ; mais les choses se sont passées autrement. J’ai d’abord passé une bonne heure et demie à fumer dans mon habituel fauteuil bleu en finissant un roman policier médiéval que Broerec m’a prêté, une de ces œuvrettes bien faites qu’on a du mal à lâcher une fois entamées ; ensuite je me suis branlé. Ça, c’est un problème : je me branle beaucoup trop. Ce n’est pas tant que j’y émette une objection morale (quoique ça puisse aussi me préoccuper ; après tout, l’éducation catholique peut-être plus fermement ancrée qu’on ne pense) ; c’est plutôt qu’il est gênant, presque handicapant, de s’adonner autant à une pratique sexuelle d’un niveau si dégradé par rapport à l’acte sexuel avec une partenaire. Ça l’est d’autant plus que j’ai rarement réussi, même aux meilleurs moments de ma relation avec Stéphanie, à avoir une vie sexuelle tout à fait satisfaisante ; c’est une espèce de refuge peu honorable. Je n’assume pas. D’autant moins que je ne peux pas m’en empêcher ; je m’en sens terriblement diminué. Et mon échec à avoir réellement une vie sexuelle épanouie me rend encore plus difficile l’abord des filles, avec qui j’ai toujours l’angoisse de ne pas être à la hauteur, de ne pas être normal. J’ai très peur de me découvrir un jour homo sans l’avoir jamais su ; ça m’inquiète beaucoup. Pourquoi ce serait si difficile sinon ? Je n’ai jamais je n’ai été attiré physiquement pas un homme, je trouve même ça tout à fait dégoûtant, à y penser sérieusement (c’est un goût bizarre, je trouve) ; mais ça n’empêche pas des fantasmes. J’ai toujours eu besoin de beaucoup fantasmer en faisant l’amour — preuve que je suis un peu trop bloqué pour apprécier l’entièreté du plaisir physique — et évidemment, aussi quand je me branle ; et parfois c’est orienté sur des hommes. À d’autres moments ce sont des fantasmes masochistes. Je me demande si ce n’est pas justement cette incapacité à avoir une vie sexuelle épanouie avec les filles parce que leur plaire ou ne pas leur plaire me terrorise, cette incapacité à assumer complètement ma position face aux femmes, qui me pousse à rechercher, en esprit au moins, ces attitudes soumises ou passives, pour ne pas avoir à supporter le poids de responsabilités… Je préférerais bien sûr, au moins ça pourrait peut-être se soigner. Mais ça m’angoisse beaucoup.