Mercredi 16 avril

Mon rendez-vous chez le docteur Moreau ne s’est pas très bien passé (= il n’a pas été agréable du tout). Je suis allé acheter des kumquats, et passant rue Contrescarpe, je suis entré à Vent d’Ouest, et ai acheté un livre de Krúdy et un de Dazai que je ne connaissais pas ; j’ai également eu en cadeau (pour l’achat d’un titre de la « Bibliothèque cosmopolite » de chez Stock) un recueil de nouvelles d’écrivains japonais que je n’ai jamais lu : Ibuse, Niwa, Nakajima, Akutagawa et Shiga.

 

Minuit. Je sors de Breaking the waves, de Lars von Trier. Pendant le début de la projection, songeant à ce que j’écrirais dans ces notes une fois revenu, je prévoyais de commencer (ou de finir) par la description de ce que j’ai mangé ce soir avec mon frangin ; les mouvements incessants de la caméra auraient certes pu m’y conduire, mais maintenant, ça me paraît incongru, presque indécent, tant ce serait hors de propos par rapport au film. Parce que c’est vraiment très intense, très prenant.

Presque tout est filmé en caméra-épaule donc, cahotante, rapide, avec des panoramiques d’un personnages à l’autre impossibles à suivre, des plans qui changent d’axe, une image pleine de grain, floue même parfois. La première demie heure, j’ai cru que je n’allais pas tenir, comme lorsque j’avais vu Bad lieutenant de Ferrara (les thèmes des deux films sont aussi, quand j’y pense, assez proches, au-delà de l’hétérogénéité de leur décor) ; puis on s’habitue, ou ça se calme, je ne sais pas trop. Mais la caméra continue tout du long de s’accrocher aux personnages, se focalisant (je crois) soit sur un personnage, soit demeurant très extérieure. On est pris, par cette histoire très forte, violente, à laquelle les images se collent. Au final, c’est impressionnant, à fleur de peau. Le récit : une marche vers quelque chose qui ressemble à la sainteté ; mais de façon dérangeante (et c’est peut-être toujours ainsi que ça se passe), qui ressemble d’abord à une descente aux enfers. Un film assez différent de ce qu’on est accoutumé à voir, où la Grâce n’a en général pas grand place.

En bas de l’immeuble, Joris et moi avons un peu haussé la voix à propos de ce qu’est la mise en scène (encore une fois) ; lui refusait l’idée que la caméra y tient une place déterminante, si ce n’est la principale. C’est pourtant bien elle qui donne à voir : tout le reste ne peut être que relativement à elle.