Lundi 12 mai 1997

Hier soir, je n’arrivais encore pas à dormir ; je suis allé prendre une bière dans le réfrigérateur, et ne sachant trop que faire pour éviter l’ennui, j’ai saisi le Journal de Jean-René Huguenin, et l’ai feuilleté au lit malgré un mal de tête persistant. Trouvé sous sa plume ceci : « — Je suis las de ce journal. Vanité, complaisance, mollesse. Quand une vie avance vraiment, on n’éprouve pas sans cesse le besoin de faire le point. » J’ai moi aussi souvent l’impression qu’écrire sur soi est une manière de recroquevillement — surtout si c’est à tenir sur son temps des comptes d’apothicaire (mais je continue de trouver la fiction totale trop artificielle pour moi, je ne sais quoi en faire). Cette tâche que maintenant je me donne, depuis que j’ai un ordinateur, de reprendre toutes mes notes depuis cinq ans pour les mettre en forme de façon définitive, je me persuade qu’elle signifie enfin solder le passé, mais c’est illusoire. Solder le passé, ce serait tout laisser en plan. Le problème est que ce serait en contradiction avec ce désir d’écrire ne se réalise que par ce biais ou peu s’en faut ; désir qui n’est sans doute qu’une faiblesse supplémentaire.

Pour le reste, ce Huguenin m’a tout l’air d’avoir été un gros con prétentieux et de droite.

À un concert à l’Olympic avec Philippe Bertrand, un copain de Joris que je vois souvent là-bas ; deux groupes de la nouvelle mouvance de San Francisco : influencés par le folk, plutôt sombres. Au premier coup de caisse claire du batteur de Tarnation, le groupe d’ouverture, je me suis senti dans mon élément, comme accueilli dans une maison que je sais être la mienne : il y a un certain temps que je n’avais pas vu de concert, et me voilà de retour. Les premières chansons étaient si magnifiques que les larmes me sont presque venues aux yeux ; mais ensuite, c’était un peu lénifiant. Swell, la tête d’affiche, c’était très bien. Et quoique la mise en lumière de leur prestation, minimaliste et d’un violet brumeux le plus souvent, ne créait pas une atmosphère très joyeuse, les musiciens ont pris un visible plaisir à jouer, plaisantant et improvisant beaucoup. Pour le reste, c’est une musique assez répétitive, qui finit par produire des climats envoûtants qu’on n’aurait pas soupçonné.

Je me suis senti honteux : le batteur de Second Smile est venu me parler, mais jusqu’à ce qu’il me dise son prénom, j’ai été incapable de le resituer ; pourtant on a joué ensemble dans Splash à l’automne dernier quand Matt, pour un concert, a eu besoin de remonter un groupe sans les musiciens habituels, qui étaient indisponibles… j’ai fait ce que j’ai pu pour rattraper cette grosse maladresse, mais je n’étais pas fier de moi. J’ai aussi vu Jérôme Courtois, que je croise toujours régulièrement (et le plus souvent dans les bons plans) ; sa copine (que je n’avais encore jamais vue) a les cheveux rasés.