Samedi 17 mai 1997

Aujourd’hui déménagement d’Ermold rue Rameau, rondement mené. Bel appartement, en plein dans le centre chic, qui pue le vide et le fond de teint rehaussant la beauté superficielle des vendeuses de magasin de fringues. Une bonne partie de son carré, et une ambiance détendue. Tout le monde quitte l’endroit vers seize heures trente, crevé. J’avais cru comprendre qu’il y aurait une fête ce soir, mais personne n’en parle.

C’est la perspective la plus intéressante de la journée qui disparaît. Me voilà dans la rue Scribe, le pas lourd, à songer que la caractéristique principale de l’existence, c’est l’ennui. Combien d’heures à se morfondre ou à déchanter pour cinq minutes de plaisir ? Se repose la question de savoir à quoi je vais pouvoir occuper ma soirée, dans quel abîme je vais plonger. France, mon vieux, qu’est-ce que tu vas faire de ta peau ? Peut-être seul, encore une fois, je ne vais rien faire… C’est que je ne me sens pas non plus l’âme à proposer grand-chose (n’ai-je pas d’idée, ou n’osé-je pas ?) ; sortir dans un bar à la monotonie lassante, à claquer des tunes pour presque rien, voilà qui finira sans doute par être même mon espoir. Tout plutôt que rester seul chez soi. Ne pas sortir, lorsqu’on est deux (et sur huit ou neufs mecs à déménager, nous n’étions que deux à ne pas l’être — minorité du misérable), ça n’a rien à voir avec ce que c’est pour moi : tourner en rond entre mes quatre murs, et savoir que personne ne pense à moi. Dans la semaine (même si on ne peut pas dire que mon rythme de travail ait une grande parenté avec celui de la plupart des gens), je le remarque moins ; mais vendredi et samedi soir sont tellement sacralisés – bêtement peut-être – que leur solitude en acquiert un relief d’une particulière dureté : j’imagine tous les autres s’amuser. Et il arrive que ce soit le cas. À dire vrai c’est tout le reste qui m’ennuie. Même la perspective de concerts, comme celui de Swell lundi dernier, ou celui de Blonde Redhead demain soir (qu’en temps normal j’attendrais avec la fébrilité du premier communiant, puisque c’est un de mes groupes préférés en ce moment) ; la seule chose qui m’intéresse, c’est voir des gens, me fondre dans le nombre, et…

Une fois rentré je me suis déshabillé, et écroulé dans un sommeil couvert de sueurs froides jusqu’à sept heures. Maintenant j’écris, à poil sur mon siège et la cigarette aux lèvres. Mon univers est bouché ; j’imaginais, comme en une formule magique, que le printemps soit enfin dégagé, mais il n’en est rien. Et je ne parle pas de l’été.

J’ai appelé, à tout hasard chez Paul et Victoria, et c’est presque comme une aumône que j’ai accueilli la proposition que m’a faite Victoria de passer ; l’esprit tellement sombre que je n’ai su dissimuler. Quel crétin.

Bon, j’y suis donc allé ; Fred Bernard et Joris étaient là aussi. Ça faisait un peu squat, comme chaque fois qu’on s’incruste chez eux — mais la qualité de leur accueil ne se dément jamais. Longuement déconné sur les rapports homme/femme, la manière dont le corps nous trahit, en écoutant les Chemical Brothers, et en finissant le Johnny Walker de Paul (qui ne semblait plus si mauvais, même s’il attaque l’estomac) ; tout ça en duplex avec Strasbourg un bon moment, puisque un copain a appelé Victoria pendant une bonne heure, et qu’on participait plus ou moins à la conversation. J’ai tort de flipper ; il ne faudrait jamais laisse la faiblesse prendre le dessus.

En rentrant, Joris a été mécontent d’apprendre que je compte aller à Toulouse la première semaine de juin ; il avait comme projet de tourner le concert pour son film le week-end qui la clôt.