Donc au concert de Blonde Redhead, avec Madeleine et quelques uns de ses copains ; je comptais bien voir Matt et Loïc, mais ils ont dû rentrer trop tard de leur concert de Bordeaux pour avoir envie de venir. Et puis c’était loin du centre, le long de la Loire dans une usine désaffectée déglinguée comme on les affectionne aujourd’hui pour monter des « manifestations culturelles » ; cette fois sur le thème du sexe, un « événement » qui se veut sans doute follement provocateur, et l’est bien en un sens, mais n’en parvient pourtant pas à être riche ou si intéressant que ça. En tout cas, un endroit qui attire les branchés comme des mouches (dont Jérôme Courtois, mais que j’affectionne trop pour le juger). Beaucoup d’esbroufe, comme d’habitude. C’était une idée d’Adalard que Marie-Charlotte me rappelait l’autre jour : on ferait un « Festival du caca », ça attirerait autant les gens ; du moment que c’est in, il faut en être, aller s’y amuser.
Un immense hangar découpé en zones par des passages et des cloisons, pas grand-chose à voir dedans, hormis des photos pas mal dans la partie centrale (au début ça m’a fait un peu bizarre d’être devant ces murs de photos plus ou moins pornographiques, c’était presque gênant, d’autant plus que j’étais le plus souvent tout seul — il y a forcément quelques ondes d’excitation qui tentent de converger vers le sexe : preuve que ce n’est donc pas tout à fait sans pertinence malgré ce que j’ai écris au-dessus). C’est avant tout un immense bar ; et assez cher avec ça. Il y a un stand de percing, avec des photos fascinantes et atroces et des hardos tatoués et percés de partout qui le tiennent ; deux ou trois autres trucs un peu bidon. Rien qui permette que quelque chose prenne corps. C’est du vide. En fin de soirée, on passe de la house à fond sur d’immenses enceintes, et sur des estrades espacées dans le lieu, une ou deux danseuses en string de cuir font genre ; des drag queen au look SF ou SM, on ne sait pas trop, arpentent la salle sur des talons de trente centimètres, un peu ridicules, un peu pathétiques[1]. Le son ricoche sans fin d’une paroi à l’autre du hangar sur la tôle, une bouillie inaudible et abrutissante qui ne peut même pas paraître inventive tant ce qui sort des platines est plat et rebattu : le règne de l’inutile et (pour moi) de l’ennui. Mais bon, je ne sais pas « faire la fête », ce n’est pas une nouveauté.
Je me suis demandé ce que Blonde Redhead faisait là ; à les voir sur le programme, je m’étais dit qu’après tout, je ne les avais jamais vus, ils étaient peut-être spécialement sexe. Mais on ne peut pas dire que c’était le cas ; et ils n’avaient pas grand-chose en commun avec le reste de la soirée. Ils n’ont rien de glamour même : deux jumeaux maigres et dégingandés, fringués comme l’as de pique, pas très à l’aise (Cédric m’a fait remarquer qu’ils ressemblaient à Mr Bean…), et une crevette japonaise pour chanteuse, hystérique et démantibulée quand elle joue, comme Patrice l’était dans Splash. Quelle claque en revanche ! Pourtant j’ai rarement vu un groupe aussi mal jouer ; techniquement, à part le batteur, ils ne sont vraiment pas bons du tout. Mais il se dégageait une telle émotion de ce drôle de rock’n’roll dissonant et décousu qu’à chaque morceau j’étais tout prêt de pleurer. Je ne sais pas pourquoi. Je devais me mordre les lèvres pour ne pas éclater en sanglots. Ça me ferait le même effet si Palace jouait « Riding » devant moi ; ou si je voyais Madredeus : le seul morceau qui me fasse chaque fois venir les larmes aux yeux sur un disque, c’est « Guitarra », le premier de la bande originale de Lisbon Story ; dès que la voix de Teresa Salgueiro s’élève, ça ne rate pas (je ne sais si ça a ou non un lien à Stéphanie : ça se rapporte à lorsque nous étions ensemble et que ça ne marchait pas mal entre nous). Ce n’est pourtant pas mon habitude, quoique l’émotion m’étreigne bien plus souvent en concert. Là, c’était terrible, et ils sont sortis de scène après deux rappels triomphaux, avant que j’aie eu le temps de me rendre compte de ce qui se passait. J’étais aussi hébété qu’heureux. C’est ça, l’art.
Ensuite j’ai rencontré Adalard, qui entreprenait déjà Madeleine ; il a commencé par lui demander, avec son air candide et convaincu : « On t’as jamais dit que tu ressemblais à Élodie Bouchez ? Parce que moi, je trouve que tu lui ressembles vachement. Bon, c’est vrai, elle a de plus gros sourcils ; mais autrement, c’est tout à fait ça. » (ma sœur plaît, en général). Puis jusqu’un peu avant mon départ, où je l’ai perdu, on a passé le reste de la soirée ensemble, à parler et boire la mauvaise bière servie au bar. Quelqu’un de formidable, flamboyant dans son rôle de type un peu décalé, audacieux et mutin, mais avec une faille à laquelle tout cela sert de paravent. Il me plaît infiniment. Dommage qu’il y ait cette pauvre histoire avec *** entre nous — qui n’en est une que pour moi du reste ; à nouveau, j’aurais bien voulu lui en parler, mais à quoi cela aurait-il servi ?
[1] Ecrire le mot drag queen m’est même difficile : il sonne faux sous mes doigts, comme reflet de la baudruche médiatique qui est faite d’une pseudo-mode microscopique.